C'est dur d'être remplacé par des cons
Choron dernière (2008) de Pierre Carles et Eric Martin avec le professeur Choron, Siné, Marc-Edouard Nabe, Philippe Val, Cabu, Wolinski
Juste une réflexion avant d'aborder directement ce film :
Il y a quelques années, lorsque je lisais Charlie-Hebdo (oui, je parle bien du Charlie de Val : malgré mon âge avancé, je suis encore trop jeune pour avoir connu celui d'avant), le journal soutenait mordicus les films que Pierre Carles réalisait contre la télévision. Aujourd'hui, le rédacteur en chef et ses sbires l'attaquent en justice.
A cette époque, Val qualifiait BHL d' « Aimé Jacquet de la pensée » : aujourd'hui, il monte les marches du festival de Cannes en sa compagnie et le croise sur tous les plateaux de télé.
Les temps ont bien changé !
Je ne fais qu'enfoncer des portes ouvertes mais c'est peu dire que Charlie-Hebdo n'existe plus, qu'il n'est désormais qu'une enseigne arrachée au cours de l'histoire et plaquée sur un pauvre torchon socio démocrate propre sur lui et sans le moindre gramme de poil à gratter.
Quel contraste entre la sale tronche mesquine et fielleuse de Val et l'exubérance joyeuse du professeur Choron ! Quelle tristesse de voir des anciens compagnons de route comme Cabu (que j'ai tant aimé et que je respecte encore) ou Wolinski plier l'échine et renier sans la moindre générosité (c'est moins leur veulerie que cette absence de générosité qui m'a frappé) celui qui mena la barque avec Cavanna d'une des plus fabuleuses aventures intellectuelles de la cinquième République.
Les critiques n'ont pas manqué de faire remarquer la pauvreté du montage de Choron dernière. Peut-être, effectivement, que ce film aurait plus sa place sur un écran de télévision si une télévision de qualité était envisageable. Qu'importe donc les maladresses : un type comme Pierre Carles qui milite ardemment contre le travail et pour Choron a toute notre sympathie et le sujet de ce dernier documentaire est tellement riche qu'on ne s'ennuie pas une seule seconde.
Quel plaisir que de revoir explorer toutes les facettes de Georges Bernier, alias le professeur Choron : son enfance, ses expériences de para (le moment où il confie ses expériences homosexuelles avec un sergent chef est savoureux) et surtout l'époque Hara-Kiri dont Pierre Carles a extirpé quelques images d'archives absolument géniales (les sketches vidéos mis en scène par l'équipe d'Hara-Kiri sont tordants et leur absolutisme dépasse tout ce que l'on peut imaginer en terme de provocation et de rire noir).
Face à la mesquinerie des tristes (Val)ets de l'équipe actuelle se détachent les témoignages de Siné (qui ne peut pas s'empêcher de se marrer en revoyant les dessins d'autrefois), de Cavanna (ému aux larmes et contredisant d'ailleurs la parole officielle des Val, Cabu et Wolinski) ou celle de Nabe qui fut l'un des plus brillants zélateurs du professeur (les pages qu'il lui consacre dans son journal intime sont absolument géniales et font revivre avec une rare intensité les frasques hilarantes du bonhomme).
Et puis il y a ces images d'archives : qu'elles soient archiconnues (Choron à Droit de réponse : « ce n'est qu'un jeune con » !) ou beaucoup plus rares. Quel plaisir de revoir ses « fiches bricolages » ou d'entendre les incroyables chansons qu'il a concoctées (le désopilant tango des affamés).
Le plus intéressant avec le personnage, c'est son caractère absolument incontrôlable. Il faut le voir ruiner l'émission de Dechavanne alors qu'il était venu représenter... l'armée de métier (son discours est absolument génial) ou encore ce passage chez Mireille Dumas (je l'avais vu à l'époque) où il fait perdre la boule à un grotesque militant d'Act up. Là résidait le génie de Choron : Dumas voulais le cataloguer comme « provocateur » mais il était au-delà de toutes ces catégories et capable de les faire voler en éclat (il faut voir la gueule consternée de l'épluchure JF.Kahn lorsque Choron propose comme slogan pour les sidaïques : « les malades, qu'ils crèvent ! »)
Décidément irréductible à tout embrigadement dans une quelconque chapelle, Choron fut peut-être l'un des grands « tragiques » de cette fin de 20ème siècle. Derrière toute cette dérision (plus personne ne pourra aller aussi loin que lui), ses frasques provocatrices et flamboyantes (les exhibitions avinées en compagnie de Charlie Schlingo !) se lit constamment un sentiment que la vie est tellement absurde que les codes qui la régissent doivent voler en éclat.
Puisqu'il ne restera rien, autant tout bafouer et tout tourner en dérision. Histoire de se consoler comme on peut de la mort inéluctable...
Allez, santé professeur !