la bonté : mode d'emploi
Après vous… (2003) de Pierre Salvadori avec Daniel Auteuil, José Garcia, Sandrine Kiberlain, Marilyne Canto
Après Cible émouvante, les apprentis et …Comme elle respire ; Après vous… confirme le talent de Pierre Salvadori pour trousser des comédies ambitieuses et élégantes (il fut moins inspiré en s’essayant au polar avec Les marchands de sable) et l’originalité de son regard à mille lieux de comédies formatées qui pullulent en France. Le hasard du calendrier veut que je découvre ce film juste après Quatre étoiles et, outre la présence de José Garcia qui fait trait d’union, il existe entre ces deux comédies un certain nombre de points communs. C’est donc sans vergogne que je vais me répéter et louer l’heureuse initiative d’un cinéaste qui ne se contente pas d’une succession de sketches mais cherche réellement à construire des situations comiques tout en ne sacrifiant pas ses personnages. A une vraie rigueur de la mécanique du scénario, Salvadori ajoute un supplément d’âme en offrant aux personnages une véritable épaisseur et en nous les rendant vite attachants malgré leurs défauts.
Autre point commun : les réminiscences du cinéma de l’immense Lubitsch. Si Quatre étoiles évoque (toutes proportions gardées) Haute Pègre ; Après vous… rappelle The shop around the corner avec ce magasin de fleurs que tient Blanche (Sandrine Kiberlain), cette jeune femme qui va devenir l’enjeu sentimental entre Antoine (Daniel Auteuil) et Louis (José Garcia).
Nous n’en sommes pas là lorsque débute le film. Antoine est serveur dans un restaurant parisien luxueux (serveur donc serviable ?). Un soir qu’il est très en retard, il coupe par un jardin public et sauve du suicide Louis, jeune homme dépressif depuis que sa fiancée (Blanche) l’a quitté. Se sentant désormais responsable de Louis, Antoine va dès lors déployer des trésors d’imagination pour aider son compagnon d’infortune et lui permettre de retrouver un emploi et pourquoi pas l’amour…
Autant le dire tout de suite, la mise en place du film est un peu fastidieuse. Plombé par une situation somme toute assez artificielle, le scénario a un peu de peine à décoller. Mais une fois le ressort dramatique remonté (après une vingtaine de minutes), le film s’avère totalement délicieux. Un scénario astucieux, des comédiens excellents (Auteuil en philanthrope un peu dépassé par la situation, Garcia en neurasthénique névrosé et la gracieuse Sandrine Kiberlain dont le talent et le charme font une fois de plus merveille) et de bonnes idées de mise en scène font d’Après vous… une comédie plus que recommandable.
Pour poursuivre ma comparaison avec Quatre étoiles, je dirais que le film de Vincent est peut-être un peu mieux construit et plus fluide dans son écriture mais que Salvadori est plus « cinéaste », que ses gags sont plus construits et amenés par la mise en scène (et non par le scénario). Je pense à ce moment savoureux où Antoine envoie Blanche vers sa voiture afin qu’elle charge des plantes et qu’elle découvre que son fiancé la trompe. Au lieu d’épouser le point de vue de la jeune femme, Salvadori reste sur Auteuil et le gag a lieu hors-champ, à la manière de Lubitsch. Je pense également à cette manière judicieuse que le cinéaste à d’utiliser la profondeur de champ pour certains gags (Garcia se saoule au premier plan tandis qu’Auteuil s’affaire auprès de ses clients en arrière-plan . Il court, sort du champ et revient soudain. Ces gags à retardement sont utilisés souvent et fonctionnent bien).
Dans les changements de rythme, Salvadori se révèle aussi assez fort. Si l’entretien d’embauche de Louis comme sommelier est si drôle, c’est qu’il a lieu au ralenti (en « slowburn » comme dirait mon auguste collègue le docteur Dévo) et que le cinéaste arrive en quelques plans à nous transmettre l’angoisse qui étreint Louis.
A côté de son irréprochable mécanique, Après vous… arrive à camper des personnages qui ne sont pas des pantins destinés à crisper nos zygomatiques en illustrant à merveille la définition qu’Ambrose Bierce donnait du verbe « aider », à savoir : « faire un ingrat ». On pense également au beau roman de Nick Hornby La bonté : mode d’emploi où un homme décide de consacrer son existence au Bien et finit par faire souffrir son entourage en raison de cette propension à ne plus s’occuper que d’autrui. A trop vouloir sauver Louis, Antoine risque de se briser lui-même et de glisser sur une mauvaise pente. Mais rien de mécanique dans cet axiome et dans les relations que Salvadori tisse entre ses personnages (très belle scène où Auteuil et Kiberlain, gênés, tentent de justifier les baisers qu’ils se sont échangés).
On aura donc compris qu’Après vous… est une comédie fine et élégante et qu’à ce titre, elle est précieuse et fort plaisante…