Badinages lusitaniens
Les vacances portugaises (1963) de Pierre Kast avec Michel Auclair, Françoise Brion, Catherine Deneuve, Jacques Doniol-Valcroze, Daniel Gélin, Jean-Pierre Aumont, Jean-Marc Bory, Françoise Arnoul
Lorsqu'on évoque la Nouvelle Vague, on pense tout de suite à l'équipe des anciens critiques des Cahiers du cinéma (Godard, Truffaut, Chabrol, Rivette, Rohmer) et aux cinéastes « Rive gauche » (Varda, Demy, Resnais, Marker). Pourtant, ce mouvement essentiel de l'histoire du cinéma ne se limita pas à ces quelques noms. Bien entendu, beaucoup des jeunes gens qui parvinrent à réaliser leurs premiers films au début des années 60 n'ont pas persévéré ou ont radicalement bifurqué de voie (qu'on songe à des gens comme Deville ou De Broca voire à Pécas et Bénazéraf). En revanche, certains sont parvenus à développer une œuvre personnelle mais plutôt confidentielle qu'il est dommage de ne pas pouvoir consulter plus régulièrement.
Ainsi, nous espérons sincèrement qu'un éditeur courageux nous fera redécouvrir les œuvres de Jacques Doniol-Valcroze ou Pierre Kast qui furent également critiques aux Cahiers du cinéma à la « grande époque ».
Un peu plus âgés que leurs petits camarades agités (ils sont nés en 1920, comme Rohmer) ; ils débutèrent néanmoins sous l'égide de cette Nouvelle Vague qui allait révolutionner le cinéma français. Doniol-Valcroze réalisa l'eau à la bouche (seule la chanson du film interprétée par Gainsbourg ne semble pas totalement oubliée !) et Pierre Kast Le bel âge (j'avais bien aimé ce film même si je n'en ai plus beaucoup de souvenirs).
Tourné en 1963, les vacances portugaises a tout du film « Nouvelle Vague » : Doniol-Valcroze (qui a également participé à l'écriture du scénario) et Jean-Marc Bory comme comédiens, Raoul Coutard à la photo et Georges Delerue à la musique. A cela s'ajoute le tournage léger et en extérieur et un goût prononcé pour les intrigues sentimentales.
Pourtant, l'œuvre de Pierre Kast est difficilement réductible à cette estampille et s'il fallait le comparer à l'un de ses petits camarades, ça serait à la limite Rohmer. Il y a un côté dandy chez ce cinéaste intellectuel et raffiné qui ne s'intéresse ici qu'à une intelligentsia huppée et ne connaissant d'autres problèmes que leurs affaires de cœurs.
Jean-Pierre et Françoise s'ennuient un peu dans leur luxueuse maison de campagne au Portugal. Ils décident, pour se divertir, de convier leurs amis à venir passer le week-end chez eux.
Une fois l'invitation lancée et la douzaine d'individus arrivée à bon port, le cinéaste met de côté les hôtes de cette réunion qui n'interviennent que pour « commenter » l'action, deus ex machina cherchant à analyser les résultats de leur machination. D'une certaine manière, Vacances portugaises est la description d'une « réaction » au sens chimique du terme : Placez une demi-douzaine de couples dans une maison luxueuse et observez les résultats.
Amoureux de la littérature du 18ème siècle, Kast réalise un film très « littéraire », aux dialogues abondants et élégants (lorsqu'on parle à Eléonore d' « une certaine histoire sentimentale », elle réplique « incertaine, cette histoire sentimentale »). La mise en scène est au service de ces dialogues : pas tapageuse pour un sou mais discrète et élégante. Lors d'une longue conversation entre deux amants fâchés depuis 10 ans, Kast filme d'abord leur réconciliation en de classiques champs/contrechamps. Puis voilà qu'à mesure que le dialogue avance, nous réalisons que leur histoire est bel et bien finie. Alors sans ostentation, le cinéaste traduit cet état de fait en s'éloignant et en filmant les derniers mots de ce couple en plan de demi ensemble.
De la même manière, sans sombrer dans le décoratif, Kast sait filmer un décor, cadrer des personnages dans ce décor. Ces intrigues sentimentales, qui pourraient paraître complexes, deviennent limpides grâce au sens de la dramaturgie du cinéaste.
Vacances portugaises ne parle que de couples, d'amours finis et naissants, du jeu cruel des badinages sentimentaux (on séduit le meilleur ami de son amant pour le faire réagir, on demande sans cesse des preuves d'amour). Tout cela paraîtra sans doute frivole et « bourgeois » à certains mais qu'importe : mieux vaut bien parler d'un sujet qu'on connaît parfaitement (ces mondains friqués et intellectuels, sortis d'un film d'Antonioni) que de faire mine de s'adresser à tout le monde de manière démagogique.
Il y a d'ailleurs des passages plus « révolutionnaires » dans les vacances portugaises que dans nombreux film dits « de gauche », je pense à ce beau personnage de dandy joué par Michel Auclair qui confesse sa haine du travail et milite pour la semaine de deux heures ! Après cette tirade, une petite phrase nous révèle également la douleur de ce personnage. Là encore, rien de psychologique ou de lourdement asséné, mais une évocation à la limite du non-dit qui confère au film sa finesse et sa profondeur.
Comparé aux nombres impressionnants de faux « classiques » dont on nous rabat les oreilles (puisque Jean-Marc Bory est de la distribution, songeons à l'assez pesant film de Malle Les amants), les vacances portugaises mérite sincèrement le détour.
Il est temps de redécouvrir le cinéma de Pierre Kast...