Tirez sur le pianiste (1960) de François Truffaut avec Charles Aznavour, Marie Dubois, Michèle Mercier

 

 

Les motifs qui nous poussent à revoir un film sont parfois peu avouables. Non ! n’allez pas croire que c’est en raison de la poitrine dévoilée de Michèle Mercier que j’ai regardé à nouveau Tirez sur le pianiste (encore que ce délicieux condiment ne soit pas l’un des moindres charmes de ce film). La vraie raison est que je voulais voir (et entendre) mon cher Boby Lapointe chanter Framboise (« Et malgré ses yeux de braises/ Ca n’me mettais pas à l’aise/ de la savoir Antibaise/ moi qui serait plutôt pour/ Quelle avanie !/ Avanie et Framboise…/ sont les mamelles du destin »). Excellent passage d’un film dont je ne me souvenais quasiment plus (c’est l’un des films de Truffaut que je connaissais le moins) et qui ne m’avait pas véritablement marqué.

En fait, je l’ai découvert trop jeune , à l’époque où je ne jurais que par la Nouvelle-Vague et la Politique des auteurs (en fait, je n’ai pas forcément tellement changé !). Du coup, je me devais d’aimer ce film parce qu’il était signé Truffaut mais j’avais été déconcerté par son allure débraillée et surtout par son côté « impersonnel » (c’était évidemment faux mais je n’étais pas encore en mesure de comprendre qu’il n’est pas nécessaire de faire un film autobiographique comme Les 400 coups pour être « personnel »).

 

 

De Truffaut, le lieu commun veut qu’on divise son œuvre en deux catégories distinctes : d’un côté, les œuvres « personnelles », sombres, secrètes et brûlantes sous la glace (La peau douce, les deux anglaises et le continent, la chambre verte, la femme d’à côté, le magnifique L’homme qui aimait les femmes…) ; de l’autre, les oeuvrettes plus légères , plus « populaires » (Cf. le triomphe du Dernier métro) et où le cinéaste n’hésite pas à lorgner du côté du film de genre (le polar avec La mariée était en noir ou Vivement dimanche, la comédie comme dans Domicile conjugal). Tirez sur le pianiste, adaptation d’une série noire de David Goodis, s’inscrirait donc dans la deuxième catégorie (film policier plus parodie du genre).

Or à revoir les films de Truffaut, on se rend compte que rien n’est simple et que derrière un modeste divertissement peuvent se cacher certaines zones d’ombre tout comme le « sérieux » de certains de ses films peut soudain être désamorcé par un trait d’humour.

 

 

Trêve de bavardages ! Avec son deuxième long-métrage, François Truffaut applique au cinéma de genre (le film noir où des gangsters recherchent deux hommes qui les ont dupés) les principes de la Nouvelle-Vague : tournage à l’extérieur des studios, matériel léger qui donne un sentiment de vivacité à la mise en scène. Jadis au service de sa propre histoire (les 400 coups), ces méthodes sont ici mises au service d’une série B très bien ficelée et d’une grande rapidité d’exécution (montage nerveux, petits panoramiques filés et bouclage de l’ensemble en 80 minutes chrono). La belle photo de Raoul Coutard (le chef op attitré de Godard pour ses premiers films) restitue à la fois l’atmosphère des séries noires américaines tout en préservant cette caution « réaliste » des films de la Nouvelle-Vague.

De ce point de vue, la séquence finale (le règlement de compte dans la neige) est vraiment très belle et Truffaut témoigne de sa grande dextérité de cinéaste.

 

 

Ce qui m’a frappé en revoyant ce film (et je pense que c’est cet aspect qui a du me passer au-dessus de la tête la première fois que je l’ai vu), ce sont ses constantes ruptures de ton. Première séquence : une poursuite haletante, filmée très nerveusement (panoramiques en légères plongées, montage sec…) qui s’interrompt brusquement le temps d’un bavardage entre l’homme poursuivi et un quidam passant dans le coin qui lui confie nonchalamment l’histoire de sa vie sentimentale. Le film sera à l’image de cette première séquence, passant sans transition d’un couplet tragique aux chansons rigolardes de Boby Lapointe, d’un flash-back mélodramatique (le passé d’un virtuose devenu petit pianiste de bastringues) à des scènes d’humour « hénaurmes » (un gangster jure sur la tête de sa mère. Au même moment, nous voyons une femme foudroyée par la mort le temps d’un court insert dans un médaillon) .

Au milieu de ce joyeux foutoir qui mêlent la comédie au film noir se dessine également le joli portrait d’un homme solitaire et introverti : Charlie (Charles Aznavour). Timide, secret, ce personnage s’inscrit parfaitement dans la galerie de ces « hommes qui aiment les femmes » cher à Truffaut (ce sont ses alter ego). Les relations sentimentales entre Charlie et son ex-femme ou avec Léna (Marie Dubois) sont filmées de façon très subtiles et délicates. Que ce soit dans l’esquisse de petits gestes ou des non-dits aux moments cruciaux ; Truffaut filme juste.

 

 

Plus profond que son allure désinvolte laisse paraître, Tirez sur le pianiste mérite d’être revu et prouve, si besoin était encore, l’immense talent du cinéaste que fut Truffaut.  

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