Comme un garçon
Lady Oscar (1978) de Jacques Demy avec Catriona MacColl, Barry Stokes
Il s'agit sans doute du film le plus « improbable » de Demy : une commande passée par un producteur japonais, une adaptation d'un manga très populaire au Japon (les gens de ma génération se souviennent sûrement de l'abominable dessin animé tiré du même manga !) dont les péripéties se déroulent pendant... la Révolution française. Pour ajouter au caractère hétéroclite de l'entreprise (l'Histoire de France revue et corrigée par le manga), tous les interprètes s'expriment en parfait anglais, de Robespierre à Marie-Antoinette.
Est-ce pour cette raison que Lady Oscar ne fut pratiquement jamais montré en France alors qu'il obtint un vrai succès à l'étranger ? Je l'ignore mais toujours est-il que cette intégrale Demy nous permet d'avoir accès à une œuvre qui mérite réellement le détour (malgré ses imperfections) et qu'elle s'inscrit parfaitement dans la lignée des grands films du maître.
Dépité de n'avoir pas eu un garçon pour lui succéder, un noble élève sa dernière fille comme son fils (il la prénomme Oscar). Douée pour l'épée, Oscar va parvenir à s'introduire à la cour du Roi et faire partie de la garde personnelle de Marie-Antoinette. A partir de là s'enchevêtrent la grande Histoire (Oscar devant choisir son camp entre la royauté et la Révolution qui gronde) et la petite (l'amour naissant d'Oscar pour l'amant de sa « patronne », le comte de Fersen (est-ce Thomas ? désolé !), les sentiments tumultueux qui la lient à son ami d'enfance André, simple employé aux écuries royales...).
S'il fallait commencer par quelques réserves, nous dirons d'emblée que Demy n'a sans doute pas les épaules d'un grand cinéaste épique capable d'insuffler suffisamment de souffle à des récits d'aventures et de capes et d'épées (il n'est pas Raoul Walsh). Du coup, Lady Oscar souffre de quelques longueurs et les joutes paraissent un peu poussives (en revanche, lorsqu'il s'agit de filmer un simple duel au pistolet, c'est absolument superbe).
Ce qui intéresse ici, c'est moins le côté « historique » (parfaitement fantaisiste) ou « romanesque » mais les éléments qui rappellent soudain les autres films de Demy, toutes ces petites touches personnelles qui font office de « rimes » internes à l'intérieur de l'œuvre.
Lorsqu'on présente une série de robes luxueuses destinées à Marie-Antoinette, on songe à celles confectionnées par le roi pour sa fille dans Peau d'âne. Lorsque Demy fait un petit clin d'œil aux féministes en faisant dire à un personnage que lady Oscar a lancé la mode des filles qui s'habillent en garçon, on songe à l'événement le plus important. Comme dans le joueur de flûte, le cinéaste lance quelques piques contre le pouvoir politique et religieux et lorsqu'il filme (très bien) un affrontement entre la foule et un pouvoir qui lui tire dessus, on voit se profiler (même dans le découpage) les grandes scènes « sociales » d'Une chambre en ville.
Mais l'un des moments les plus beaux de Lady Oscar est sans doute celui où André ose enfin avouer son amour à son amie d'enfance et qu'elle le repousse comme quelque chose d'impossible. Comme lors de la rencontre finale des Parapluies de Cherbourg, Demy leste la scène d'un poids de mélancolie, montrant que le temps a passé et qu'il n'est désormais plus possible pour les personnages de retrouver leur belle insouciance de jeunesse. Par la façon dont il met en scène cet éloignement inéluctable (un très beau raccord dans le mouvement qui s'éloigne soudain des personnages en plan d'ensemble en se terminant par un léger travelling arrière), le cinéaste retrouve le lyrisme de ses grandes œuvres, porté une fois de plus par la musique de Michel Legrand.
Que ça soit André, Oscar ou Marie-Antoinette, la mise en scène en fait de véritables personnages de Demy, des êtres idéalistes et marqués par le sceau de la mélancolie, la conscience que toute chose est éphémère (voir le très beau plan à la fin du film où la tristesse affolée d'Oscar contraste avec la liesse d'une foule qui vient de prendre la Bastille et qui chante la Carmagnole).
Comme toujours chez le cinéaste, le grand amour est entravé par des forces qui le dépasse : force du temps qui éloigne les êtres, forces sociales qui mettent des barrières là où il ne devrait pas y en avoir (c'est d'ailleurs sans doute ce qui explique son attachement aux contes de fées)
Je le redis, Lady Oscar n'est sans doute pas sans défaut et s'avère parfois un peu bancal. Néanmoins, dans le genre, je le trouve supérieur au Marie-Antoinette de Sofia Coppola et c'est indéniablement un beau film.
NB : Les plus pointilleux de mes lecteurs remarqueront que je n'évoque nullement l'un des thèmes principaux du film, à savoir l'ambiguïté sexuelle du personnage d'Oscar. C'est voulu : j'en reparle prochainement à propos d'autres films de Demy (enfin, si j'y pense!)...