La naissance du jour (1980) de Jacques Demy avec Danièle Delorme, Jean Sorel, Dominique Sanda



Jacques Demy semble toujours avoir un peu renâclé à adapter des œuvres littéraires à l'écran. Certes, la littérature a inspiré certaines de ses œuvres (ses libres adaptations du conte de Perrault pour Peau d'âne et d'Orphée de Cocteau pour Parking) mais en bon cinéaste de la Nouvelle Vague, il eut toujours tendance à privilégier les sujets originaux et personnels.

Deux films font néanmoins exceptions dans son corpus : la naissance du jour, tourné pour FR3 en 1980 (c'est le seul téléfilm que tournera Demy) et le bel indifférent, court-métrage tourné en 1957.

Aussi différents soient ces deux films, le spectateur remarquera une même approche de la « matière » littéraire. Adapté d'une pièce de Cocteau, Le bel indifférent ne cherche surtout pas à masquer ses origines théâtrales (le film s'ouvre et s'achève sur un rideau rouge qui se lève et se referme). L'héroïne attend son amant Emile dans une chambre d'hôtel et lorsque celui-ci arrive, elle commence une longue complainte où se mêlent les menaces, les supplications, les reproches et les remords. L'homme ne prononcera pas un mot et partira comme il était venu.

Malgré son côté très théâtral (monologue joué avec conviction par Jeanne Allard, huis clos...), le film de Demy parvient à être autre chose qu'une plate captation d'une pièce. Par la grâce d'un cadre très rigoureux, Demy parvient à donner le sentiment que ses personnages évoluent dans deux univers parallèles, destinés à ne jamais pouvoir se rejoindre. Il ne s'agit pas de faire passer cela par la psychologie et les dialogues mais par une mise en scène qui privilégie la composition des plans (très beau travail sur le déplacement des corps dans le cadre) au découpage intempestif. C'est déjà de la belle ouvrage.


La naissance du jour n'est plus une pièce de théâtre mais un roman de Colette (que je n'ai point lu) qui a néanmoins un point commun avec l'œuvre de Cocteau, à savoir d'être construit sur un monologue. Colette y dévoile sa liaison avec un homme plus jeune qu'elle (il en a 35 alors qu'elle a passé la cinquantaine) et ses stratagèmes pour se protéger de l'amour (elle pousse son amant dans les bras d'une charmante jeune femme incarnée par la divine Dominique Sanda).

Là encore, Demy ne cherche en aucun cas à évincer les origines « littéraires » de son film en trouvant un système d'équivalence (nous ne sommes pas dans une adaptation académique d'un roman) mais, en bon disciple de Bresson, reste très fidèle au texte. Cette fidélité peut presque paraître étouffante au début du film : aucune véritable progression dramatique, une voix-off omniprésente, des plans sur l'écrivain en train d'écrire, sur une feuille qui se couvre de mots... Pourtant, cette plongée directe au cœur de l'œuvre semble nécessaire pour parvenir à donner une intériorité et une épaisseur aux personnages. Sans cette première demi-heure, le récit qui prend corps ensuite paraîtrait anecdotique et illustratif. Ce n'est heureusement pas le cas et le film finit par être de bonne facture, porté qu'il est par la prestation magistrale de Danièle Delorme, sosie assez stupéfiant de Colette qui parvient à faire ressentir « physiquement » toutes les émotions que l'écrivain avait couchées sur le papier.

En voyant le résultat, on comprend ce qui a pu séduire Demy dans le livre. Il s'agit, en effet, d'une femme vieillissante qui jette un regard mélancolique sur son passé et qui tente de se protéger des blessures que pourraient lui infliger un nouvel amour. Colette ne se sépare pas de son amant mais cherche un apaisement aux passions trop douloureuses en le poussant à aller voir ailleurs. Elle profite du présent mais elle a conscience de sa fuite inéluctable (toujours, oui !). C'est sans doute pour cela que le cinéaste laisse aussi une bonne place aux notations impressionnistes du passé (le souvenir de la mère Sido).

Pour être tout à fait franc, le film souffre un peu de son côté « téléfilm ». Pas vraiment dans la réalisation (plutôt élégante) mais dans la direction artistique globale : l'image granuleuse fait très télé culturelle des années 80 et certains passages flirtent avec le kitsch (voir le caleçon de bain de Jean Sorel !) Malgré cela, le résultat est plutôt satisfaisant et permet de constater que même au cœur d'une œuvre de commande, on retrouve parfaitement la patte du grand Jacques Demy...


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