Femmes au bord de la crise de nerfs (1988) de Pedro Almodovar avec Carmen Maura, Antonio Banderas, Rossy de Palma

 

 

Alors que sort actuellement sur nos écrans Volver, le dernier opus d’Almodovar (nous allons y revenir le plus rapidement possible), il n’est pas mauvais de se replonger dans son œuvre antérieure pour mesurer son évolution et sa cohérence. Est-ce une si bonne idée que ça ? Pour de nombreux cinéastes, certainement ; mais pour un cinéaste comme Almodovar qui a véritablement accompagné mes jeunes années de cinéphile, c’est plus risqué. Je me souviens encore des discussions que nous avions au lycée à propos de ses films avec un type qui passait pour assez marginal dans la classe. Même si Almodovar commençait à être connu à cette époque (Talons aiguilles sortait sur les écrans), peu connaissaient alors ses tous premiers films que je découvrais avec passion. J’avais l’impression alors d’appartenir à un clan très fermé, réservé à quelques initiés capables d’apprécier les films sulfureux du maître.

J’aime toujours énormément Almodovar mais revoir certains de ses films m’apporte parfois une petite déception. Pas toujours (souvenez-vous de ce que j’écrivais à propos du très beau Matador) mais parfois. Et si je travaillais au Guide Michelin, Femmes au bord de la crise de nerfs ferait partie de ces films auxquels je retrancherais aujourd’hui une étoile.

 

 

Comme souvent chez Almodovar, la trame narrative est assez touffue. L’héroïne, Pepa (Carmen Maura, à fleur de peau, très bien), se voit un jour abandonnée par son amant Ivan qu’elle va tenter de reconquérir en contactant, par exemple, son ex-femme qui va rentrer dans la danse. Ajoutez une amie qui se réfugie chez Pepa parce qu’elle fut la maîtresse d’un terroriste arrêté, un jeune couple qui cherche un appartement et dont le jeune homme (Banderas) s’avère être le fils d’Ivan et une avocate au rôle ambigu; et vous aurez un peu l’idée de l’imbroglio qui régit ce vaudeville sophistiqué.

 

 

Femmes au bord de la crise de nerfs est un film « entre deux » :  à la fois porte de sortie des premiers films potaches, provocateurs et plutôt underground d’Almodovar et chemin vers les grands mélodrames flamboyants qui vont faire sa renommée. Il me semblerait stupide d’opposer néanmoins les deux « parties » de son œuvre pour en louer une par rapport à l’autre. D’une part parce que cette rupture reste assez arbitraire (un film relativement récent comme Kika, que j’adore, est suffisamment mal élevé et foutraque pour être associé aux premiers films du cinéaste tandis que Matador annonce déjà les grands mélos passionnels et passionnés d’Almodovar) ; d’autre part, parce qu’il serait injuste de prétendre qu’Almodovar s’est damné en touchant le grand public et a perdu son originalité. Tout sur ma mère et Parle avec elle sont des films grandioses, d’une rare profondeur et s’inscrivent parfaitement dans la continuité d’une des œuvres les plus passionnantes de ses dernières années.

Je parlais d’  « entre-deux » et Femmes au bord de la crise de nerfs hésite également entre deux registres, valsant sans arrêt entre la pure comédie et le drame sentimental. Je n’ai rien contre les ruptures de ton mais c’est peut-être là que le bât blesse. S’il y a des choses assez amusantes dans le film (une parodie de pub de lessive très drôle), l’humour est peut-être la dimension qui va le plus vieillir dans les films d’Almodovar (je m’en étais rendu compte en revoyant à la baisse le très iconoclaste Dans les ténèbres). Ici, le côté humoristique désamorce le côté émouvant que pourrait avoir ces femmes délaissées que filme si bien Almodovar.

Total : le film n’est ni assez drôle, ni assez flamboyant pour provoquer l’adhésion totale du spectateur. Le plat n’est pas assez relevé et manque un peu de piment.

 

 

Ces réserves faites, le film est loin d’être raté et l’on y prend quand même du plaisir. D’abord à cause d’actrices épatantes (ah ! la singulière Rossy de Palma, très drôle en vierge acariâtre). Et puis parce que le cinéaste est loin d’être un manchot. Même s’il part toujours de récits sur-scénarisés, il arrive toujours par ses mises en scène à leur donner un caractère organique, à incarner ce foisonnement narratif. Ici, c’est un peu moins vrai (on sent plus la mécanique) mais la virtuosité est bien là. Les couleurs pétaradent toujours autant, les idées de mise en scène ne manquent pas (très belle manière de filmer une rupture en utilisant les mots d’un film que les amants doublent sans se voir) et le classicisme du découpage n’empêche pas un rythme soutenu.

 

 

Mineur mais agréable. 

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