Elève libre (2008) de Joachim Lafosse avec Jonas Bloquet, Jonathan Zaccaï



Je vais finir par donner raison à mes détracteurs qui me reprochent de ne parler que de films vus à la télévision si je ne me décide pas à retourner en salles. Le problème, c'est que toutes les nouveautés susceptibles de m'intéresser (Schroeter, Serra, Fleischer, Oliveira...) ne sont pas sorties dans ma ville. Du coup, j'ai fait confiance aux critiques et me suis aventuré à aller voir le dernier opus de Joachim Lafosse (Nue propriété) dont je n'avais vu aucun film.

Jonas est un adolescent de son époque : doué au tennis, il passe à côté de sa scolarité et se voit réorienté vers une filière professionnelle (avec, selon ses propres mots, « les ratés »). Il décide alors, pour éviter cela, de passer un examen en candidat libre qui lui permettra d'intégrer une école spécialisée. Pierre, un ami de sa mère, lui propose des cours privés pour le remettre à niveau. Mais très vite, cette éducation dépasse le strict cadre de la scolarité et vire sur les chemins de la sexualité...

Le sujet du film me semblait assez intéressant : le rapport trouble entre adulte et adolescent, la question du désir dans le rapport « maître/élève », celle de l'intimité et de ses limites...A l'arrivée, le résultat est plutôt décevant et convenu. Joachim Lafosse a beau être belge, on a l'impression avoir vu un de ses énièmes « film d'auteur » à la française où les fausses audaces masquent mal un académisme que j'ai de plus en plus de mal à supporter.

Oh, bien sûr, il ne s'agit plus de l'académisme « à la papa » des années 50 et des films bien propres sur eux, illustrant scrogneugneusement des scénarii hyper bétonnés. Les temps ont changé et c'est le cinéma dit « d'auteur » qui s'est figé dans une doxa esthétique inébranlable. Pour prendre l'exemple de Joachim Lafosse, notre bonhomme sait parfaitement éviter l'anonymat du téléfilm en élargissant son cadre, en saupoudrant son récit de quelques scènes « sexuelles » (avec toujours en tête une conscience très précise de ce qu'il ne faut surtout pas dépasser !) et en laissant durer ses plans. Sauf que ces plans-séquences fixes sont devenus une tarte à la crème telle qu'à moins d'avoir été réellement pensés, on n'arrive plus à en saisir les objectifs.   

De plus, même si le sujet abordé peut laisser croire à une approche originale et personnelle, Elève libre ne dévie à aucun moment de la ligne choisie par son auteur. Pour être plus clair ( ?), Lafosse ne se laisse jamais débordé (n'y voyez aucun mauvais jeu de mots !) par son thème ou par l'épaisseur que le film aurait dû conférer à ses personnages.

Pour le dire autrement, Lafosse place tout de suite le spectateur du côté du Bien, à savoir l'Innocent (cet adolescent un peu benêt, très bien joué par Jonas Bloquet). Côté Mal : les adultes qui tentent de s'immiscer sans scrupule dans l'intimité de ce jeune homme. Puisque, d'après le cinéaste, toute éducation est un viol (il s'agit de modeler une personnalité pour qu'elle s'adapte à une société), il déroulera sa métaphore de manière à la prendre au pied de la lettre : le maître « abusera » de son élève. La démonstration est un peu lourde.

J'ai entendu parler certains critiques de « cinéma moral » (le réalisateur dédie le film « à nos limites ») alors que je le trouve plutôt moralisateur. On nous sert encore la sempiternelle attaque contre nos sociétés individualistes où l'adulte ne pense qu'à sa propre jouissance, quitte à empiéter sur l'intimité de l'Autre. Et bizarrement, on retrouve un peu le même problème que dans l'horrible La belle personne quant à la vision des adolescents. Chez Honoré, on pratique le mélange des genres (l'Autre n'est que le Même : le prof peut forcément coucher avec une élève qui a l'air d'avoir le même âge que lui) tandis que chez Lafosse, l'adolescent reste aussi un Autre fantasmé (c'est l'innocence bafouée, l'éternelle victime...). Du coup, il y a quelque chose de faux, à l'heure du porno à portée de clic et des adolescentes qui s'exhibent sur leurs webcams, à voir ce Jonas totalement ignorant des choses de l'amour et manipulé à sa guise par des adultes pervers. Le film reste toujours une vue de l'esprit et ne parvient pas à s'incarner. Il lui manque à la fois de l'ambiguïté (ce qu'il y a de magnifique dans le Lolita de Nabokov, c'est qu'Humbert Humbert est à la fois le monstre ET la victime de l'histoire), de réciprocité (quid du désir de certains adolescents de séduire les adultes ?) et de « résistance ». Lorsque dans la bouche de Jean-Pierre de Lucile Hadzihalilovic, un adulte tente d'abuser d'une enfant, celle-ci résiste à ses assauts et il reste à l'écran un corps qui se défend.

Jonas non. Ce n'est pas un corps mais une idée théorique (encore une fois, l'adolescence bafouée). Il ne s'agit pas d'excuser les actes des adultes qui le manipulent (loin de moi cette idée !) mais d'élargir un point de vue que je trouve assez schématique et convenu (il faut entendre les stupides sophismes que prononcent lesdits adultes).

Pour tout simplement saisir l'ampleur du Réel et de ce que nous appellerions volontiers le « négatif » qu'il recèle.

A vouloir trop se placer du côté du Bien et de la Morale, Lafosse nous livre un film désincarné et assez déplaisant...

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