Lorsque l'enfant paraît...
Ricky (2008) de François Ozon avec Alexandra Lamy, Sergi Lopez
Dans ses meilleurs films (Regarde la mer, Sous le sable), François Ozon parvenait à distiller un malaise en brouillant la frontière entre le réalisme et le fantastique, un peu à la manière des premiers Polanski (toutes proportions gardées). Je n'ai pas revu depuis un certain temps ces films mais je commence un peu à craindre leur redécouverte tant les films récents du cinéaste m'ont plutôt déçu. Tout se passe comme si Ozon se contentait désormais d'appliquer les recettes qui firent sa renommée : une pincée de provocations (désormais très anodines), un cinéma « d'aplats » et un goût prononcé pour la fable.
Après le désastreux Angel, je dois dire que le début de Ricky m'a plutôt intéressé. Je vous conseille particulièrement la scène d'ouverture où Alexandra Lamy (plutôt bien) évoque sa situation difficile de mère isolée avec deux enfants. A la fin de la conversation, elle demande à placer en foyer son petit dernier qui n'arrête pas de pleurer. Nous retrouvons ensuite cette femme (Katie) dans son quotidien d'une banlieue grisâtre mais avec une seule fille.
Pour le critique favorable de Télérama (pour une fois, j'ai fait une entorse à ma règle en lisant les critiques avant d'avoir vu le film. A vrai dire, je ne pensais pas y aller), il s'agit d'un flash-back. Je vous demande confirmation mais il me semble bien qu'il est inscrit sur le carton qui ouvre la deuxième scène « quelques mois plus tard ». Le film ne me semble pas remonter dans le temps et cette séquence inaugurale provoque tout de suite un déséquilibre puisqu'elle place Ricky sous le signe de l'absence (Katie a-t-elle placée son bébé ? Lui est-il arrivé quelque chose ?).
Les 20 premières minutes du film parviennent alors à renouer avec une certaine étrangeté propre au cinéma d'Ozon. Le cinéaste fait preuve d'une certaine virtuosité pour faire avancer son récit à grands coups d'ellipses et à brouiller les points de vue (notamment grâce au joli personnage de Lisa, la petite fille). Certains ont parlé de cinéma « réaliste », ça me semble un peu exagéré d'autant plus que le « typage » social du film n'est pas forcément très réussi.
Sur son lieu de travail, Katie rencontre Paco (Sergi Lopez, dans son registre habituel du gros nounours débonnaire dont la présence massive parvient en même temps à être inquiétante) et décide de vivre avec lui jusqu'au jour où arrive Ricky, le deuxième ( ?) bébé.
Quand l'enfant apparaît, le film vire soudain de bord et emprunte le registre de la fable. Je ne révélerai pas la caractéristique « fantastique » de ce bébé mais c'est à partir de ce moment que le récit se dégonfle comme un vieux soufflé et sombre, d'après moi, dans le grotesque.
Plusieurs raisons à cela. Primo : en optant pour la monstration et les effets spéciaux, Ozon tue toute ambiguïté et en finit avec le malaise du début. Le pot aux roses découvert, le spectateur n'a plus qu'à assister à une fable un peu lourdingue (l'interprétation ne me paraît pas très compliquée si l'on se réfère à la scène d'ouverture) qui tente des ruptures de ton assez malheureuses (les scènes de comédie sont plutôt ratées) et finit par faire songer au navet de Cédric Kahn L'avion.
Deusio, la mise en scène devient aussi beaucoup moins inspirée, les trucages devenant une fin en soi et annihilant toute velléité de mise en scène.
Sur la fin, Ozon réussit une ou deux jolies scènes (Katie qui « laisse partir » son enfant, la même devant un lac) mais ne parvient pas à emporter l'adhésion. Sa fable (dont on ne peut pas trop parler pour ne pas en dire trop aux éventuels spectateurs) reste un peu bancale, faute de vrais partis pris de mise en scène. C'est dommage car il y avait une vraie carte à jouer avec les « trous » du récit et cette notion de point de vue fluctuant (on peut imaginer que certains personnages n'existent que dans la tête des autres).
Pour voir un immense film sur les rapports difficiles entre parents et nouveaux-nés, sur la maternité douloureuse, mieux vaut se replonger dans le chef-d'œuvre de David Lynch Eraserhead.
Pour le coup, le malaise est garanti !