Trois places pour le 26 (1988) de Jacques Demy avec Yves Montand, Mathilda May, Françoise Fabian



Difficile de se dire que Trois places pour le 26 est le dernier film de Demy et qu'il faut, un pincement au cœur, se résigner à ne plus jamais en voir de nouveaux. D'autant plus difficile que si certains films ont des allures testamentaires, celui-là non. Un peu plus de 20 ans après les demoiselles de Rochefort et après deux opus plutôt sombres (Une chambre en ville, Parking), le cinéaste renouait avec ses premières amours en signant une vraie comédie musicale.

Ce qui s'avèrera être un film d'adieu est en fait le film du grand retour : Yves Montand y joue son propre rôle, celui d'un chanteur de retour à Marseille, la ville de ses débuts, pour monter un grand spectacle musical retraçant sa carrière. Aux anecdotes réelles (ses amours avec Piaf et Signoret) se mêlent des histoires fictives, dont cette histoire d'amour avec une belle entraîneuse qu'il n'a pas revue depuis 20 ans. Retour également de Demy au genre sentimental et coloré qui fit son succès. La première chorégraphie sur le grand escalier marseillais est tout à fait dans l'esprit des Demoiselles de Rochefort et dans cette manière unique que possédait le cinéaste de transformer une ville réelle en véritable décor de cinéma.

La seule chose qui change, c'est la musique. A dire vrai, j'avais déjà vu Trois places pour le 26 il y a de nombreuses années et je l'avais beaucoup aimé. Je craignais d'être un peu déçu en le revoyant et j'avoue que le premier morceau m'a un peu inquiété. Autant la chorégraphie et la chanson m'ont semblé parfaitement réussies, autant j'ai craint que Michel Legrand soit définitivement contaminé par le syndrome « années 80 » qui gâchait une grande partie de Parking.

Une fois de plus, le grand musicien nous balance de la boite à rythme et des arrangements synthétiques hideux qui ont bien vieilli. Fort heureusement, toutes les parties musicales ne seront pas sur ce modèle et l'ensemble, au contraire, s'avèrera plutôt très satisfaisant. A de très rares exceptions (la première scène entre Mathilda May et Françoise Fabian, la délicieuse chorégraphie des parfumeuses...), les numéros musicaux du film seront essentiellement diégétiques en ce sens que ce sont les répétitions du spectacle qui les justifient.

Et pour le coup, Demy retrouve toute son élégance et sa grâce le temps de numéros absolument grisants. Je pense notamment au magnifique hommage que rend Montand au cinéma musical à travers la chanson  Ciné qui chante (où le cinéaste se cite lui-même à travers un petit clin d'œil aux Parapluies de Cherbourg). Le temps de ces quelques minutes magiques, c'est toute l'œuvre de Demy qui nous revient en mémoire d'autant plus que Legrand, sur des airs plus « rétro » et/ou jazzy, retrouve son talent.

On retrouve d'ailleurs dans Trois places pour le 26 des échos des Demoiselles de Rochefort. La jolie Marion (je pense que Mathilda May n'a jamais été aussi bonne que dans ce film) rappellent les sœurs jumelles qui voulaient, elles aussi, « monter » à Paris pour y vivre une carrière artistique. Comme elles, Marion vit avec une mère célibataire (Françoise Fabian, magnifique) pour qui le temps a emporté espoirs et illusions. Mylène (c'est son prénom) est une sorte de croisement des personnages que Darrieux incarnait dans les demoiselles de Rochefort (la femme mûrissante qui vit dans ses souvenirs) et Une chambre en ville (elle est baronne mais est totalement ruinée). Le rapport mère/fille est une fois de plus au cœur du film et va se complexifier lorsqu'on va comprendre que la femme aimée par Montand autrefois n'est autre que la mère de sa jeune partenaire.

Je ne suis pas le premier à le signaler mais Demy aborde ici frontalement le thème de l'inceste qui était jusqu'alors sous-jacent dans son cinéma (Piccoli tombe amoureux de sa belle-fille dans Les demoiselles de Rochefort, Marais veut épouser sa fille dans Peau d'âne et il est marié avec sa nièce dans Parking). Il y a quelque chose de très beau dans la manière dont Demy aborde ce thème sans grivoiserie, de manière à la fois transgressive mais douce et comme un élément dramatique supplémentaire (le regard de Marion lorsqu'elle réalise ce qu'elle a fait est extraordinaire).

Je sais qu'il est d'usage de trouver ce film mineur mais je persiste à le trouver très sous-estimé. Le mélange cher à Demy de l'euphorie engendrée par la musique et de la mélancolie des vies qui glissent à la surface des belles choses sans parvenir à les saisir (toujours des histoires de routes qui se séparent, d'amours entravés par le temps et la distance...) fonctionne toujours très bien (peut-être pas aussi bien que dans les grands chefs-d'œuvre déjà cités, je vous l'accorde, mais quand même...) et Trois places pour le 26 ne démérite absolument pas dans la carrière du cinéaste magicien...


NB : Pour un bilan « étoilé » de l'œuvre de Demy, je vous invite à consulter régulièrement le blog de l'ami Ed : nous devrions en reparler...

Retour à l'accueil