Deux yeux maléfiques (1990) de George A Romero et Dario Argento avec Adrienne Barbeau, Harvey Keitel



A priori, rien de comparable entre le cinéma éminemment politique de Romero et les folies baroques de Dario Argento. Pourtant, ce n'était pas la première fois que les deux hommes se retrouvaient associés. C'est effectivement Argento qui produisit en 1978 Zombie, le deuxième volet de la saga des morts-vivants de Romero, et qui le remonta d'ailleurs pour l'exploitation européenne.

12 ans plus tard, voilà les deux hommes à nouveau réunis pour deux adaptations conjointes d'Edgar Poe.

Dans L'étrange cas de Mr Valdemar, Romero raconte l'histoire d'un homme mourant qu'un médecin, complice et amant de sa femme, hypnotise pour lui extorquer sa fortune. A sa mort, Valdemar reviendra traquer le couple adultérin...

Dario Argento adapte la nouvelle Le chat noir et suit les pas d'un photographe spécialiste de clichés morbides (il travaille en collaboration avec la police pour photographier des corps atrocement mutilés) dont l'esprit va vaciller au moment où sa compagne ramène à la maison un mystérieux chat noir...

Deux moyens-métrages (les films durent près d'une heure chacun), deux univers et styles différents n'empêchent pas une certaine cohérence de se dégager de ces Deux yeux maléfiques.

Poe est sans doute l'un des écrivains qui a le plus inspiré les cinéastes (j'aime d'ailleurs plutôt bien la série des adaptations réalisées par Roger Corman) et je dois dire que ce film bicéphale ne démérite pas du tout. Chacun à leur manière, les auteurs parviennent à renouer avec l'esprit du romancier.

George Romero joue la carte du classicisme. Son film est une petite merveille de construction narrative et de progression dramatique. L'élément fantastique n'est pas immédiatement perceptible mais s'insinue peu à peu dans le récit. Le cinéaste prend soin de bien exposer la situation (caractérisation des personnages, nature des rapports qui les lient...) avant de distiller par petites touches une angoisse de plus en plus prégnante. Pour cela, il joue davantage sur de véritables ressorts de mise en scène plutôt que sur des effets chocs. En ce sens, Romero (à l'instar d'un Carpenter) est bien l'héritier des grands cinéastes classiques. Le hors champ, les éléments de décor (belles plongées sur l'escalier qui mène à une cave de plus en plus inquiétante) et le jeu avec l'espace sont plus importants que ce qui est montré. L'absence de contrechamp lors de certains passages et le jeu sur les ellipses permettent d'instaurer un climat anxiogène qui finira par accoucher de scènes plus sanglantes mais justifiées (lors du climax du film). On retrouve d'ailleurs, à ce moment, les morts-vivants chers à Romero et le thème obsessionnel chez Poe de « l'enterré vivant », de ces êtres coincés entre la vie et la mort. Cette fois, le mort-vivant n'a plus de signification « politique » mais advient comme le corps redouté et suggéré pendant tout le début du film. L'horreur n'est plus un « gadget » mais l'aboutissement d'une véritable angoisse...


Dans l'épisode signé Argento, le style change du tout au tout. Le découpage classique de Romero laisse place à un cinéma beaucoup plus baroque où la caméra virevoltante (vive la Louma !), les angles insolites et le recours à l'onirisme (une belle séquence qui se termine par un empalement assez éprouvant !) apparaissent comme autant de signes distinctifs de l'esthétique de l'auteur.

Argento ne possède sans doute pas le sens de la narration de Romero (il est parfois plus brouillon, plus confus) mais il compense ce défaut par le lyrisme de sa mise en scène. De plus, autant le casting du Romero n'était pas totalement convaincant (Adrienne Barbeau n'est pas une mauvaise actrice mais elle ressemble à Danielle Mitterrand, ce qui décrédibilise un peu l'idée qu'un homme puisse tout risquer par amour pour elle !), autant le maestro italien dispose ici d'un grand Harvey Keitel (qui excelle à jouer les types normaux qui se laissent submerger par leurs instincts et pulsions les plus refoulés) et d'une actrice singulière assez magnétique (Madeleine Potter). Le photographe devient de plus en plus obsédé par la présence du chat et Argento de traduire ce déséquilibre par des séquences où la caméra épouse le point de vue de l'animal (d'où de constantes variations d'axes entre contre-plongées et plongées). Les mouvements de caméra parviennent parfaitement à traduire l'état « mental » du personnage et sa plongée dans la folie.

Du coup, le film devient totalement ambigu : l'élément fantastique existe-t-il vraiment (ce chat est-il « diabolique » ?) ou n'est-il que la projection d'un cerveau malade.

C'est cette constante ambivalence qui fait l'intérêt de ce deuxième film et rend la vision globale de ces Deux yeux maléfiques assez passionnante.

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