Volver (2005) de Pedro Almodovar avec Pénélope Cruz, Carmen Maura, Lola Dueñas

 

 

Je l’ai déjà dis souvent : je n’ai que peu de goût pour les films 100% masculin et c’est sans doute principalement pour cette raison que la loi du désir et la mauvaise éducation sont les films que j’aime le moins d’Almodovar. Bonne nouvelle ! avec Volver, le cinéaste revient avec un film entièrement centré autour de figures féminines : deux sœurs et une mère décédée depuis quelques années qui revient hanter ses filles. Je lis déjà ça et là qu’Almodovar a fait un film de plus, qu’il se perd dans la redite et n’est plus original. Comme tout grand artiste, Almodovar travaille effectivement autour des mêmes motifs, des mêmes thèmes (les liens mère/fille) et je trouve curieux qu’on fasse la fine bouche devant une œuvre totalement maîtrisée, émouvante et bien plus « risquée » que ce que l’on veut bien en dire. De la même manière, on aurait tort de ne voir en Almodovar qu’un scénariste tricotant des histoires alambiquées et se contentant de ça. La mise en scène ne se réduit pas à une accumulation de « trucs » voyants (à ce compte là, Jan Kounen fait de la mise en scène !) et il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer le beau travail de cinéaste qu’effectue Almodovar avec Volver.

 

 

Mais partons du scénario puisqu’à son habitude, le réalisateur nous offre une trame narrative foisonnante et hautement invraisemblable (mais pas plus que celle des Enchaînés d’Hitchcock à qui personne ne songerait à reprocher le caractère feuilletonesque de son intrigue). Essayer de raconter le film très simplement est une gageure (même si à l’écran, tout est d’une limpidité parfaite) alors contentons nous de dire qu’à chacune des deux sœurs, Raimunda et Sole, il arrive une succession d’évènements imprévus. La première (P.Cruz) se retrouve avec un cadavre sur les bras : celui de son mari qui a tenté d’abuser de sa fille tandis que la seconde (Sole), voit réapparaître une mère défunte qui revient un jour s’installer chez elle. Ressurgit alors tout un passé où sont également mêlées une vieille tante cacochyme et Agustina, une amie commune… Ces quelques lignes ne rendent pas du tout compte de la teneur d’un film où les intrigues se mêlent et s’emboîtent, où le présent répond au passé, où les vivants se mêlent aux morts…JM.Lalanne (une fois n’est pas coutume !) eut une fois une expression très heureuse pour qualifier le  cinéaste, celle de « tapissier amoureux ». Elle est une fois de plus très adaptée à ce film où Almodovar part d’une trame et de motifs très précis (presque trop voyants) pour arriver à un résultat où le canevas disparaît finalement dans l’épaisseur de l’ouvrage (appeler ça comme vous voulez : la vie, la vérité humaine, l’émotion…)

 

 

Sur le papier, le résultat n’était pas gagné d’avance. Car avec ses histoires d’inceste, de femme cancéreuse, d’adultères, de vengeance maternelle, Volver est un film chargé à la chevrotine et marchant sur des œufs. Il y avait là de quoi faire un épouvantable mélo racoleur et larmoyant. Mais Almodovar évite toutes les chausse-trappes qu’il s’est lui-même imposé et parvient à prendre avec une rare élégance tous les virages dangereux. Une scène résume parfaitement le film en ce sens qu’elle lui sert de repoussoir. C’est ce moment où l’amie cancéreuse est invitée à une ridicule émission de « télé-réalité » (pléonasme) (en fait, il s’agit plus d’un « reality show » à l’ancienne). A ce moment, c’est un déferlement de cynisme, d’instrumentation de l’émotion et d’incitation à un exhibitionnisme malsain auquel se livrent les gens de télévision. L’individu y est tout bonnement nié au profit de la recherche d’un sensationnalisme répugnant et pornographique. Cette femme n’existe plus que par sa maladie et le « capital larmes » qu’elle va pouvoir rapporter. Au beau milieu de l’émission, elle fait se que tous les cobayes télévisuels devraient faire : elle se lève et quitte le plateau. De la même manière, Almodovar fuit ce chantage à l’ émotion et cette réduction de l’individu à une seule caractéristique (sa maladie, son enfance bafouée…). Toutes les scènes impossibles à réaliser, il les négocie en douceur et avec une rare justesse. Prenez les rapports de la petite ado avec son père incestueux. Le cinéaste commence par insister sur ce désir qui naît chez l’homme (regard insistant sur sa petite culotte ou coup d’œil dans sa chambre quand elle se déshabille). On se dit : OK ! c’est clair, un malheur va arriver. Ca sera le cas mais d’une manière très belle, par une ellipse et par un face-à-face mère/fille très poignant , nœud gordien de tout le film. Idem pour les retrouvailles entre Sole et sa mère puis entre cette dernière et Raimunda. Pas d’effusion de larmes ni de flopées de violons : un plan d’ensemble sur les deux femmes assises sur un banc qui vous serre le cœur.

Lorsque les sentiments risquent d’être trop forts, l’émotion trop envahissante et gênante, Almodovar les désamorce par un trait d’humour (qui fonctionne bien mieux ici que dans Femmes au bord de la crise de nerfs qui se voulait avant tout une comédie à laquelle on aurait ajouté une louche d’émotion) .

 

 

Peu importe finalement que les situations soient hautement improbables (au diable le réalisme !) , c’est la vérité des personnages qui prédomine et je ne crois pas avoir vu depuis longtemps d’aussi beaux portraits de femmes. Epaulé par des actrices exceptionnelles (Pénélope Cruz n’a jamais été aussi bonne et la sensuelle héroïne de Jambon, jambon de Bigas Luna a bien fait de revenir au pays natal ; Carmen Maura n’est pas indigne d’Anna Magnani qu’elle regarde dans Bellissima de Visconti…), Almodovar nous offre des portraits de femmes fortes et sensuelles, drôles et touchantes d’une rare justesse.

Les quelques hommes qu’il filme ne sont guère reluisants mais il évince toute idée de guerre des sexes. Juste rendre au beau sexe le plus beau des hommages et réaliser un mélodrame d’une rare élégance dans l’émotion qu’il distille avec retenu…

 

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