Icône pop
Marie-Antoinette (2005) de Sofia Coppola avec Kirsten Dunst, Judy Davis, Steve Coogan, Asia Argento
Mis à part le fait qu’ils aient fait l’événement de la sélection cannoise, les trois derniers films dont je vous ai parlé (celui-ci compris) avancent fièrement sur des terrains hautement minés et pourraient être montrés dans les écoles de cinéma comme preuve qu’on peut se sortir de toutes les situations périlleuses. Almodovar contourne malicieusement les conventions du mélodrame et évite tout chantage à l’émotion, tout racolage larmoyant ; Moretti arrive à mêler l’art et la politique sans un soupçon de catéchisme militant , sans que le discours l’emporte sur le cinéma et Sofia Coppola, même si elle est celle qui s’en tire le moins bien des trois, parvient à déjouer les conventions d’un genre honni : le film à costumes.
Comme mon brillant camarade le docteur Devo, je ne songe pas sans un frisson d’horreur aux films « historiques » et fait un rejet épidermique pour ces grosses productions qui se perdent dans les reconstitutions fastueuses, le décorum, les habits d’époque où ne manque pas le moindre bouton de guêtre…Combien en ai-je vu de ces gros puddings académiques aussi soporifiques qu’un jour de délibérations à l’assemblée nationale ? Certes, il y a des contre-exemples (le premier nom qui me vient à l’esprit, c’est Kubrick avec son sublime Barry Lyndon) mais ils sont si peu nombreux que je n’entrais pas dans la salle sans une certaine appréhension.
Je disais à propos du Caïman que nous autres, spectateurs, n’allions pas dans les salles pour subir un cours d’éducation civique. Je dirais de la même manière que nous n’y allons pas non plus pour des leçons d’histoire et Sofia Coppola l’a bien compris. Ce n’est donc pas sans une certaine jubilation que j’imagine la tête congestionnée des historiens découvrant une héroïne tenant plus de l’icône pop (style Madonna dans Recherche Susan désespérément) que de la reine de France, une bande-son qui laisse entendre aussi bien Rameau que les Cure, New Order et Air, une cour royale parlant le bon américain d’aujourd’hui sans parler, quotas obligent, des quelques noirs que l’on aperçoit ça et là dans l’entourage de Marie-Antoinette (Ciel ! des sarrasins à la Cour de France !). Ce côté iconoclaste aurait plutôt tendance à me séduire. De la même manière, si je n’ai franchement aucune sympathie pour la figure historique que représente la « guenon d’Autriche » (comme la surnommait joliment le grand Hébert), peu me chaut que la cinéaste prenne sa défense et la présente plutôt comme une victime. Tant qu’il y a un point de vue et du cinéma, j’accepte toutes les opinions, même celles que je ne partage pas (j’aime énormément l’anglaise et le duc de Rohmer qui est pourtant un film très anti-républicain et anti-révolutionnaire).
Bref, comment Sofia Coppola s’est-elle tirée de son gros film « à costumes » ?
Premier constat : même si ce n’est pas un gage de réussite, il est difficile de nier que Marie-Antoinette est un film très personnel et qu’il s’inscrit dans la lignée des deux films précédents de la cinéaste. Plaisir de retrouver un univers singulier qui m’avait tant séduit dans ses deux premiers coups de maître. De Virgin suicides, on retrouve une figure féminine bridée par des conventions sclérosées et un mode de vie auquel elle a du mal à se conformer. Il est aussi question de l’apprentissage sentimental et de la perte de la virginité qui occupe un grand moment du film. De Lost in translation, Sofia Coppola conserve l’idée d’une jeune femme perdue à l’étranger, dans un pays dont elle ne connaît ni les mœurs, ni les coutumes (belle scène où à la frontière française, Marie-Antoinette se dépouille de tout ce qui vient d’Autriche). Entre déracinement et obligation de se plier à des règles strictes, Sofia Coppola réalise surtout le portrait d’une adolescente (n’oublions pas que Marie-Antoinette a épousé le futur Louis XVI à 15 ans et qu’elle est devenue reine à 19 !) en proie aux atermoiements amoureux de son âge.
Lorsque après un prologue un peu fastidieux (le départ d’Autriche, l’arrivée à Versailles, le mariage, les rites de la cour…), où la cinéaste semble un peu intimidée par la magnificence de son décor, le film se recentre sur la figure de Marie-Antoinette (Kirsten Dunst, jeune fille bête à manger du foin mais très bonne actrice, est parfaite dans le rôle) ; on retrouve ce romantisme un peu maladif, ce charme éthéré qui faisaient la réussite des deux précédents opus de la Miss Coppola.
Pas de doute que le jeune cinéaste ne se reconnaisse pas un peu dans cette adolescente à qui tout est donné, qui passe son temps à organiser des fiestas en rêvant alanguie au bel amant qui viendra combler ses rêves de midinettes gâtées.
Sofia Coppola dit s’être inspirée des « biopics » délirantes de Ken Russell (Music lovers par exemple) pour son film. Cela nous vaut effectivement de beaux passages où la reine organise des soirées arrosées, dépense son argent au jeu et où on la retrouve au petit matin, lorsque sous l’effet euphorisant de l’alcool, on va contempler le soleil se lever. Dans ces moments, la cinéaste est très forte et parvient à donner un soupçon de mélancolie à ces moments grisants que nous savons tous éphémères…
Malheureusement, tout le film n’est pas de ce niveau et il déçoit un peu par rapport à Virgin suicides et lost in translation. Lorsque la grande Histoire ressurgit, le film devient moins habile et intéresse moins. Toute la fin du film et la Révolution qui gronde (même si Coppola a la bonne idée de ne la filmer que comme une clameur lointaine) me semble assez anecdotique. De plus, le film souffre quand même de son côté « tendance » (Asia Argento dans le rôle de la Du Barry, c’est quelque chose !). Je m’explique : je sais que Sofia Coppola a toujours été une figure très « fashion » et l’idole de toute une certaine petite communauté branchée. N’empêche qu’il me semblait que ses œuvres échappaient à ce caractère « branché ». Ici, elle en fait un peu trop soit dans le kitsch (que de rose !) , soit dans la joliesse louchant dangereusement du côté de David Hamilton (voir la scène entre la reine et sa fille, petite blonde habillée en blanc, gambadant dans la nature derrière un joli petit mouton). Je sais bien que Virgin suicides jouait déjà sur un certain côté lilial mais il y avait une mélancolie et une noirceur langoureuse qui vous prenaient aux tripes alors qu’elles ne fonctionnent ici que par intermittence.
Au total, Marie-Antoinette est un film un peu bancal et malade. D’un côté, c’est un film qui a du charme et qui témoigne de la personnalité de Sofia Coppola ; de l’autre, on a un peu le sentiment qu’elle n’a pas totalement maîtrisé cette grosse production et que son talent se dilue un peu dans les fastes de la Cour et du décor.
Le film mérite néanmoins le coup d’œil…