Harvey Milk (2008) de Gus Van Sant avec Sean Penn



Je m'y attendais ! Je sentais qu'il ne fallait pas aller voir ce film ! J'en avais vu la bande-annonce et j'avais alors eu le sentiment que tout était déjà dit. Effectivement, le nouvel opus de Gus Van Sant (pincez-moi : c'est bien lui qui a réalisé Elephant ?) est un biopic qui déroule son programme convenu de A jusqu'à Z en suivant les traces du premier élu américain ayant affiché publiquement son homosexualité, de ses débuts de militant jusqu'à sa sanctification (comme chez Eastwood, le héros se sacrifie pour le bien de la communauté).

Sean Penn incarne avec une certaine conviction Harvey Milk même si son interprétation a presque quelque chose de « redondant » tant les récentes prises de position publiques de l'acteur semblent se superposer à celles du personnage.

Voilà donc Sean Penn en héraut du progressisme et de l'avancée de la démocratie. Il y aurait beaucoup à dire sur les enjeux « idéologiques » du film et j'avancerai volontiers, à propos de l'homosexualité, ce que je disais dans ma cave à propos du féminisme : autant j'admire les  pédés flamboyants qui se sont élevés en tant qu'individu contre l'infamie des conventions sociales (un toast à Oscar Wilde, Jean Genet, Fassbinder, Pasolini, Guy Hocquenghem et tant d'autres), autant je méprise royalement les revendications purement communautaristes et ce fonctionnement en lobby dont Harvey Milk est l'un des précurseurs (voir à ce propos l'infâme démagogie de certains élus qui ont fait récemment leur « coming out » en prenant la pose du progressisme alors qu'ils ne risquent absolument plus rien, l'homosexualité étant, et c'est tant mieux !, globalement acceptée par tous).

Je ne veux pas jouer les Philippe Muray à la petite semaine mais Harvey Milk n'a rien d'un révolutionnaire. Au contraire, c'est quelqu'un d'extrêmement conformiste, qui veut absolument s'intégrer et qui s'inscrit d'emblée du côté du Bien. Evidemment que personne ne peut décemment être aujourd'hui pour la discrimination envers les homos et que les figures de bigots d'extrême droite ne peuvent être que répugnantes pour le spectateur. Et pourtant, il y a quelque chose d'un peu effrayant dans cette volonté (ça ne concerne évidemment pas que la communauté gay) de réclamer plus de droits, le lois et de règlements au nom du Bien[1].

Du coup, revenons au film, Gus Van Sant fait immédiatement de son personnage une figure de saint laïc sans nuances. Aucune zone d'ombre, pas d'ambiguïté (ne serait-ce que dans son rapport au pouvoir) et un destin tragique qui ne peut que tirer des larmes de crocodile et mettre dans sa poche le spectateur.

Voilà encore du cinéma qui se contente d'être au service d'une Cause (qu'elle soit juste ou non, ce n'est pas le problème) et qui utilise toutes les techniques les plus convenues pour emporter l'adhésion du spectateur. Il faudrait que je développe un jour cette idée mais Gus Van Sant a recours au syndrome « petite robe rouge » de La liste de Schindler (pardon Vincent, tu auras décidément compris que je n'ai toujours pas digéré ce passage). Il s'agit, dans des films qui évoquent des destins collectifs (la Shoah, l'émancipation des gays...) d'individualiser soudain une souffrance pour permettre l'identification du spectateur et justifier le propos. Ce syndrome, qui me semble être une technique assez roublarde et ambiguë, Van Sant l'utilise avec le personnage d'un jeune handicapé, au bord du suicide parce qu'il vit dans une ville de province rétrograde et qu'il souffre de son homosexualité. Quoi de plus émouvant qu'un jeune homme homosexuel et rejeté (victimisation) qui, de plus, est handicapé (encore plus minoritaire). Dès lors, c'est cet exemple individuel qui semble impulser de l'énergie à la cause d'Harvey, soit un recours à des ficelles mélodramatiques assez lourdes.

Pour rester dans le domaine du « biopic », Harvey Milk m'a fait songer au film de Milos Forman Larry Flynt. Or si le film de Forman (qui n'est pas son meilleur) me paraît mille fois plus passionnant, c'est qu'il y a une espèce de « dialectique » (pardon pour les grands mots) entre la cause défendue (la liberté d'expression, l'article 1 de la Constitution américaine) et le personnage qui n'a rien d'un saint. Le cinéaste parvenait parfaitement à mettre à jour cette contradiction : comment défendre un personnage peu sympathique (Larry Flynt est avant tout un marchand de soupe, un capitaliste roublard et un pornocrate plutôt vulgaire) au nom d'une cause juste ? Chez Gus Van Sant, il n'y a rien de ça : la Cause est juste (jamais la moindre contradiction n'est apportée), le personnage est un Juste (encore une fois, c'est un saint laïc) et le cinéaste n'a plus rien d'autre à faire que d'illustrer cette tautologie.

Du point de vue de la mise en scène, le cinéaste a suffisamment de métier pour impulser un certain rythme à son récit (le montage parallèle entre les images d'époque et la fiction est assez intéressant) mais c'est d'un classicisme sans relief et sans invention (à deux ou trois exceptions près). Encore une fois, même sans revenir sur ces sommets que constituent Gerry et Elephant, il me semble que Gus Van Sant avait plus de punch et d'ironie dans ses films « grands publics » comme Will Hunting ou le délicieux Prête à tout.

Harvey Milk est un film à thèse à la Hollywood, c'est-à-dire assez roublard et extrêmement bien-pensant. Résultat, le spectateur s'ennuie et ne rêve dès lors plus qu'au prochain film du cinéaste, en espérant sincèrement qu'il retrouve des sentiers plus personnels...



[1] Lu dans Télérama de cette semaine, cette brève qui fait froid dans le dos : « Escroqueries, atteintes aux mineurs, propos racistes...En un mois et demi, 300.000 internautes se sont connectés sur www.internet-signalement.gouv.fr, et plus de 7000 affaires suspectes ont été révélées, se félicite Michèle Alliot-Marie ». On voit que la délation a toujours de beaux jours devant elle dans notre belle France ! Mais toujours au nom du Bien suprême!

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