Kill Bill, volume 1 (2002) de Quentin Tarantino avec Uma Thurman, Lucy Liu, David Carradine, Darryl Hannah

 

 

 

Commençons cette semaine gaiement avec quelques révisions de films marquants de ces dernières années. Avant de vous reparler de Sofia Coppola (eh oui !), un petit retour sur mon film préféré de Tarantino : Kill Bill. Faut-il encore rappeler l’histoire de cette mariée (Uma Thurman) laissée pour morte le jour de son mariage et qui décide de se venger, le sabre à la main, de ses anciens agresseurs ? Inutile, vous la connaissez déjà, tout comme vous connaissez cette manière inimitable qu’a Tarantino d’enchâsser les récits, de faire exploser la narration par de constants flash-back, de désamorcer l’action par de longues scènes de dialogues à l’humour constamment décalé…

Avec Kill Bill, le cinéaste pousse au maximum le jeu sur les codes, les références au cinéma d’exploitation auquel il s’est nourri et aux différents genres qu’il a aimés. Dès le générique en forme de clin d’œil aux génériques des films des Shaw brothers , on entre dans un univers ultra-référentiel où sera rendu hommage aux films de kung-fu, aux films de sabre japonais (le chambara) , aux mangas, aux films de yakusa de Fukasaku (cité au générique de fin au même titre que Chang Cheh) , au western italien (cette dimension sera plus sensible dans le volume deux) et même au cinéma de De Palma (la séquence de l’hôpital filmée en « split-screen »).

Le personnage de la mariée évoque à la fois Bruce Lee (pour la tenue) et la merveilleuse héroïne de l’hirondelle d’or de King Hu, spécialiste des arts martiaux les plus acrobatiques (le combat final d’Uma Thurman contre des dizaines d’assaillants est une citation évidente).

Quand à la femme au bras coupé et la manière dont gicle le sang, elles rappellent le cinéma de Chang Cheh et son fameux la rage du tigre (le deuxième volet comportera un superbe hommage à la 36ème chambre de shaolin de Liu Chia-Liang) .

Bref, Kill Bill est le fruit d’un rêve de gamin désirant rendre hommage aux films qu’il a aimés et entreprenant de réaliser une sorte d’immense synthèse du cinéma d’exploitation d’antan.

Et le miracle, c’est que jamais Tarantino ne tombe dans la facilité de l’exercice de style qui menaçait, à mon avis, ces deux premiers films (Réservoir dogs et Pulp fiction). Autant je percevais une sorte de second degré un peu déplaisant dans ces films-là (qui étaient très brillants mais un brin clinquants dans leur pose « cool » et « fun ») , autant Kill Bill me paraît un vibrant hommage toujours sincère. Jamais Tarantino ne pose un regard méprisant ou ironique sur les codes du genre qu’il adopte et malgré les clichés et conventions qu’il ne cherche pas à contourner, le cinéaste joue la carte de la croyance et d’un amour sans fin pour un cinéma d’exploitation qu’il remet à sa sauce personnelle. C’est idiot à dire mais cette croyance fait que Kill Bill est l’un des films les plus directement jouissifs à suivre de ces dernières années. Il nous permet de retrouver cet esprit du gamin que nous fûmes et qui jubilait à l’idée de s’identifier à un personnage fort et de vivre par procuration des aventures haletantes.

 

 

 

Construit diaboliquement, le film réserve en outre de nombreux changements de registres (le premier combat arrive très vite mais il est interrompu par l’irruption d’une fillette qui revient de l’école et qui déclenche alors une conversation décalée d’une grande drôlerie) et une mise en scène d’une rare inventivité. Aussi violent soit-il (certaines scènes sont assez gore), le film n’est jamais tapageur et Tarantino trouve toujours des solutions plastiques pour éviter la complaisance et le racolage malsain.

Primo : par le jeu des points de vue qu’il met en œuvre. On sait que le thème de la vengeance est assez délicat à traiter (nous en parlions il y a quelques jours) et qu’il est propice à toutes les manipulations les plus dégueulasses pour amener le spectateur à jouir du spectacle du châtiment.  Et bien au lieu de s’en tenir au seul point de vue de sa mariée (autour duquel se construit le récit-gigogne) , Tarantino prend le soin d’introduire un autre point de vue pour empêcher une adhésion sans restriction. La première victime l’est sous le regard de sa fillette et la seconde (Lucy Liu) bénéficie d’une longue séquence (celle en dessin-animé) qui relativise sa folie criminelle. Pour dire vite, même les ennemis ont le droit à leur chance et à un changement de perspective relativisant la « faute » qu’ils doivent expier.

 

Deusio, par un sens de la stylisation qui laisse pantois. Le combat final dans la neige est d’une beauté à couper le souffle, comme l’était la scène précédente en ombre chinoise. Il y a chez le cinéaste une volonté constante de trouver une manière originale d’aborder des séquences a-priori stéréotypées. Et tout passe par une mise en scène qui évite la surenchère (au contraire, le combat final est très épuré) et qui aboutira à cette épuration du spectaculaire dans le deuxième volume.

 

 

 

Je persiste à croire que la clé de la réussite de Kill Bill réside dans cette foi dans le cinéma. Tarantino a beau recycler les genres d’antan, il y croit et nous y fait croire. On a beau être dans un univers où les combattants peuvent défier les lois de l’apesanteur, il est inenvisageable qu’une femme ayant passé quatre ans dans le coma puisse se servir tout de suite de ses jambes. Foi dans un personnage, joué sans second degré par la sublime Uma Thurman (voilà une vraie femme qui nous change des endives à la Kirsten Dunst ! eh ! eh ! je lui en veut vraiment) . Par son talent d’actrice, ce personnage offre au film une sourde mélancolie qui se prolongera dans la deuxième partie.

Comme Pam Grier dans le très beau Jackie Brown, Uma Thurman offre à Tarantino l’occasion de nous offrir une œuvre plus « mûre » et plus profonde que ces premiers exercices de style. Et je me répète, le résultat est totalement jouissif…

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