La fille du RER (2009) de André Téchiné avec Emilie Dequenne, Catherine Deneuve, Michel Blanc, Nicolas Duvauchelle, Mathieu Demy, Ronit Elkabetz



J'ai beau me repasser sans arrêt le film dans la tête depuis hier après-midi, je n'arrive pas à savoir ce qui l'emporte entre un intérêt (réel) pour ce dernier opus en date de Téchiné et un certain agacement que je ne manque plus d'éprouver à chacun de ses films.

Au bénéfice du doute, j'accorde à la fille du RER un « pas si mal » qui ne rend pas tout à fait compte de mon désarroi mais qui permettra à mes aimables lectrices de constater que je n'ai pas totalement sombré dans l'aigreur totale après un début d'année cinématographique que je considère comme calamiteux ! (Un seul bon film en trois mois ! Merci Chabrol !)

Avec ce film, Téchiné poursuit le chemin qu'il avait commencé à tracer avec les témoins, à savoir une tentative d'accorder le lyrisme sec de son cinéma à certains thèmes de « société ». Avec les témoins, il revenait de manière à moitié convaincante sur les débuts du SIDA en France. Cette fois, plus personne n'ignore qu'il revient sur un fameux fait-divers (une présumée agression antisémite dans le RER qui n'était finalement qu'une totale mystification) qui fit couler tant d'encre à l'époque.

Emilie Dequenne incarne Jeanne, une jeune chômeuse à l'origine du mensonge. Pour raconter son histoire, le cinéaste s'essaye une fois de plus au romanesque. Le film est divisé en deux « chapitres » (le premier intitulé « les circonstances », le second « les conséquences ») et sur la trame principale de son récit se greffent plusieurs couches narratives et romanesques (l'histoire d'amour entre Jeanne et un lutteur professionnel, une histoire de drogue, les retrouvailles entre un célèbre avocat juif -Michel Blanc- et la mère de Jeanne -Catherine Deneuve-...)

Pour ma part, c'est vraiment l'aspect qui m'intéresse le plus du film, son côté digressif et parfois elliptique. Lorsqu'il s'éloigne le plus possible du « fait divers », Téchiné prouve qu'il est un bon cinéaste. De la fille du RER, j'ai envie de dire qu'on se souvient avant tout de moments purement « creux » : les trajets de Jeanne en rollers avec ses tenues multicolores, une séance de drague via webcams absolument éblouissante (sincèrement, je crois que c'est la première fois que je vois quelqu'un filmer aussi bien ce nouveau moyen de « communication »), l'ambiance du RER, la lumière des flammes d'un feu de cheminée sur le visage d'Emilie Dequenne...

A ce propos, il convient également de saluer l'exceptionnelle prestation de l'actrice, magnifique de bout en bout, à la fois fragile et pleine d'énergie, capable de vous faire chavirer le cœur par la grâce d'un seul regard. Nous l'avions déjà adoré dans Rosetta : elle prouve ici qu'elle est une très grande actrice qu'on aimerait revoir, selon la formule consacrée, plus souvent.

Quand Téchiné se contente de saisir le mouvement de ses personnages, les corps qui se cherchent, se heurtent souvent et se trouvent parfois, son cinéma est vraiment intéressant. Lorsqu'il se débarrasse de ses ambitions « sociologiques », il parvient à nous offrir quelques jolis moments de mise en scène (cette façon de donner à ses scènes un sentiment d'inachevé en les concluant par des fondus au noir, le très beau moment, en surimpression, où Jeanne découvre que son ami a été violemment blessé...).

Alors, allez-vous me dire, qu'est-ce qui ne fonctionne pas ? Je pense que vous l'avez déjà deviné, c'est effectivement tout ce qui a trait au fait divers directement. A ce propos, un copain me disait qu'il avait trouvé absolument dégueulasse le carton final du film (qu'on a d'ailleurs à peine le temps de lire et où le cinéaste se « couvre » en disant qu'il s'est seulement inspiré d'un fait réel). Le mot est peut-être un peu fort mais, dans le fond, ce carton final exprime assez bien le caractère un peu « faux cul » du film. Téchiné nous dit vouloir s'éloigner des « faits réels » mais on sent pourtant à chaque moment que nous sommes ramenés sur les rails de la bonne vieille sociologie qui plombe la majorité des films français actuels. Et pour ma part, je dois dire que je n'en peux plus de cette question du présumé antisémitisme français qu'on nous ressert ad nauseam. Et que c'est facile de mettre le spectateur dans sa poche en montrant l'héroïne qui fond en larmes devant un documentaire consacré à la Shoah ! Tout ce qui touche à la question du judaïsme dans la fille du RER me paraît totalement raté, du folklore toc de la Bar Mitsva aux règlements de compte entre un juif athée (Mathieu Demy) et son ex-femme orthodoxe (la belle Ronit Elkabetz dont le personnage me paraît très caricatural, juste destiné à endosser une certaine « conscience  citoyenne »).

Encore une fois, le problème me semble être presque un problème de production. Téchiné veut jouer la carte du film du « milieu » (selon une expression que je trouve de moins en moins heureuse) et ne réussit qu'un film tiède, partagé entre un désir de cinéma vraiment personnel (qu'il n'a plus réalisé, selon moi, depuis le diptyque Les roseaux sauvages/ Loin) et la volonté de contenter ses acheteurs (à savoir France 2) en nappant le tout avec du bon problème de société permettant le débat.

On retrouve d'ailleurs ce problème au niveau de la distribution : autant je trouve Emilie Dequenne parfaite, autant je n'arrive pas un instant à croire en Catherine Deneuve mère de famille banlieusarde jouant les nourrices ! A chaque instant, je ne vois qu'une star vieillissante pas très à l'aise pour jouer tant son visage semble tiré par la chirurgie esthétique (pardon pour l'inélégance, madame Catherine, je vous adore quand même !). Idem pour Michel Blanc : il a beau jouer avec conviction ce rôle d'avocat, je vois toujours derrière cette façade son personnage de Jean-Claude Duce ! Vous me direz que cette remarque pourrait s'appliquer à tous les films alors que ce n'est pas forcément le cas (Chabrol parvient à faire oublier sans le faire oublier Depardieu dans Bellamy). Ce qui gêne dans la fille du RER, c'est que l'affiche semble préexister à tout ce qui se passe sur l'écran.

Je ricane également doucement lorsque j'entends Jean-Marc Lalanne dire que Téchiné parvient parfaitement à saisir la jeunesse d'aujourd'hui, confrontée au chômage et obligée pour cette raison de rester chez les parents. D'une part, le cinéaste ne traite pas vraiment le problème puisqu'il rajeunit volontiers Emilie Dequenne (elle n'a que 21 ans dans le film, ce qui n'est pas encore très vieux), d'autre part, parce que je ne connais pas beaucoup de chômeurs qui ont l'occasion de se divertir en faisant du roller ou en piquant une tête dans une piscine en attendant une offre d'embauche ! Ma remarque est sans doute injuste et anecdotique mais elle dit bien le côté assez artificiel du tableau « sociologique » dressé par le cinéaste.

Certains très beaux passages de la fille du RER prouvent néanmoins que Téchiné n'a pas perdu toutes ses capacités de cinéaste. Gageons qu'il parvienne à renouer avec ses obsessions et des thèmes plus personnels qui nous feront retrouver son lyrisme précieux et nous débarrasseront à jamais de ses prétentions « sociologiques »...

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