Collection Romans érotiques vol. 3 (Editions Cinémalta)


Sayuri strip-teaseuse (1972) de Tatsumi Kumashiro avec Sayuri Ichijo

La femme aux cheveux rouges (1978) de Tatsumi Kumashiro avec Junko Miyashita


De tous les réalisateurs de « romans pornos » japonais, Tatsumi Kumashiro est sans doute le plus reconnu, l'un des seuls à avoir bénéficié de séances de redécouverte (j'ai pu voir autrefois -et en salle s'il vous plait !-, des films comme Le rideau de Fusuma et Désirs humides : 21 ouvreuses en scène). Par rapport aux films de Tanaka, ceux de Kumashiro semblent davantage relever du genre « érotique » : les situations sont plus « osées », les évocations plus crues et l'on sent à chaque instant un désir de transgression chez ce cinéaste étonnant.  

Mais comme je le signalais précédemment, cette appartenance au genre ne bride en aucun cas la créativité du cinéaste qui, au contraire, parvient à inventer une forme novatrice pas très éloignée de celle expérimentée par un cinéaste comme Suzuki. De la même manière, un entretien assez intéressant avec la scripte de Kumashiro nous révèle que celui-ci n'avait rien d'un « cinéphile » mais qu'il fut marqué à jamais par la découverte de Pierrot le fou. Et il est vrai que l'influence de Godard, même si c'est de façon plus ou moins souterraine, irrigue ces deux beaux « pinku eiga » édités par Cinémalta.


Une des premières leçons que Kumashiro a apprise du maître, c'est une façon bien particulière de mêler la fiction et le « documentaire ». Dans Sayuri strip-teaseuse, le cinéaste met en scène la rivalité entre deux strip-teaseuses en nous invitant à suivre le parcours de la jeune et jolie Harumi dont l'ambition secrète est de détrôner sa rivale Sayuri, la grande star de l'effeuillage se produisant dans les quartiers populaires d'Osaka. Si le film possède une dimension « documentaire », c'est tout simplement parce que l'actrice Sayuri Ichijo tient son propre rôle et que Kumashiro se sert de sa personnalité controversée (l'actrice fit souvent la Une des rubriques « faits divers » en raison du caractère provocant de ses spectacles) pour irriguer une fiction heurtée, navigant sans arrêt entre la fiction et la « prise sur le vif » du réel (Kumashiro nous offre quelques très belles scènes de « scandales » dans la rue, où Harumi tente de se révolter contre les forces de l'ordre qui veulent la coffrer).

Si le film s'appuie sur la personnalité de Sayuri, c'est pour deux raisons essentielles.

D'une part, le caractère absolument fascinant de cette femme qui s'exprime en public comme un modèle d'épouse soumise à la loi patriarcale japonaise (il faut la voir s'excuser de ses spectacles devant un parterre de journalistes) et qui se transforme en un concentré de sensualité sur scène. Même si le passage à l'écran a du nécessiter une certaine édulcoration, les shows de Sayuri sont assez incroyables, à la fois très beaux et très provocateurs (la strip-teaseuse n'hésitant pas à exhiber son sexe - le spectateur du film ne le verra pas- et à rompre avec le fameux tabou japonais) tout en se livrant à un certain sado-masochisme (la cire des bougies devenant un « motif » érotique assez impressionnant !)

D'autre part, la transgression tranquille de Sayuri permet à Kumashiro de ruer dans les brancards d'un ordre social qu'il refuse. La sexualité est utilisée par le cinéaste comme un véritable moyen de transgression des règles et une remise en question du pouvoir (notamment sous son aspect le plus contestable de garant de la morale publique). Symptomatiquement, on sent que le film n'a jamais été tourné en fonction de la censure. Il apparaît même que Kumashiro a transgressé plusieurs fois le tabou de la pilosité puisque apparaissent à certains moments d'affreux caches noirs qui masquent les parties « sensibles » de l'anatomie des comédiens.

Sayuri strip-teaseuse est un film de lutte et de rage : lutte entre deux strip-teaseuses, luttes de femmes qui tentent, par l'expression d'une sexualité libérée, de transgresser les règles d'un ordre sociale patriarcale et réactionnaire.


Cette lutte contre la censure, on la retrouve également dans le beau La femme aux cheveux rouges, une romance érotique où la grande Junko Miyashata tient le rôle principal. Comme dans le film précédent, Kumashiro inscrit son œuvre dans un milieu social résolument populaire. Un routier croise un jour, sur la route, une mystérieuse femme aux cheveux roux avec laquelle il va vivre une passion dévastatrice tandis que son collègue et ami tente de régler ses problèmes avec une jeune fille qu'ils ont tous les deux violée !

Là encore, c'est la crudité du film qui frappe dans une premier temps. Crudité qui se niche moins au cœur des images (là encore, d'horribles caches interviennent si la scène tend à devenir trop « indécente ») que dans des propos où les personnages n'hésitent pas à parler très directement de sexe et de ses alentours (ils évoquent aussi bien le problème des règles et des tampons de la jeune femme que celui des odeurs corporelles !). Le style incisif et vif de Kumashiro (le montage est toujours inventif, notamment par l'adjonction de scènes de réminiscence du passé) permet d'ancrer tout de suite son film dans une certaine réalité japonaise (voir cette voisine junkie du couple principal dont les gémissements hors champ confèrent au film une « réalité » au-delà des quatre murs de la chambre).

Mais comme dans Sayuri strip-teaseuse, le cinéaste ne s'en tient jamais à une simple dimension naturaliste et sordide : il transcende son propos en nous présentant des personnages complexes (Junko Miyashita est tout simplement admirable ! Je ne sais pas si on pourrait en dire autant d'actrices spécialisées dans l'érotisme dans le reste du monde !) et incarnés. Grâce à cette attention aux personnages, il parvient à traduire de très belle façon les affres d'une passion dévorante et exclusive.

Du coup, le film parvient à nous toucher malgré ses ruptures de ton qui semblent être la marque de fabrique du cinéaste.


Il est tellement rare de voir des films qui donnent de véritables lettres de noblesse à un genre méprisé au cinéma (l'érotisme) alors que ledit genre est désormais respectable en peinture ou en littérature qu'il faut se ruer sur ce coffret Kumashiro afin de découvrir un cinéaste décapant dont la force transgressive n'a pas perdu de son impact...

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