L'attente des femmes (1952) d'Ingmar Bergman avec Anita Björk, Eva Dahlbeck, Gunnar Björnstrand


Dans une maison de campagne près d'un lac, quatre femmes attendent le retour imminent de leurs maris respectifs tandis que les enfants jouent dans la nature et qu'une jeune adolescente, sœur d'une des héroïnes, écoute les confidences de ces épouses « délaissées ».

L'attente des femmes fait partie des œuvres de « jeunesse » de Bergman (il précède d'un an le fameux Un été avec Monika) et l'on y constate déjà sa dilection pour la psychologie féminine et la dissection du sentiment amoureux. Comme le grand dramaturge Ibsen auquel on songe parfois, le cinéaste s'applique à peindre des portraits de femmes fortes et fragiles à la fois, qui expriment de manière assez frontale leurs désirs.

Dans un premier temps, Annette annonce clairement aux autres qu'elle et son mari sont devenus de parfaits étrangers, malgré la paix apparente de leur ménage. Bergman transcende la théâtralité de la séquence (qui ne repose que sur un long monologue fort bien écrit) en affirmant déjà un art certain du gros plan. Le cadre qui serre peu à peu le visage de la comédienne donne au passage une intensité qui ne se démentira jamais au cours du film.

Par la suite, trois flash-back constituent l'armature du récit, chacune des héroïnes racontant une histoire qui lui permet de faire le point sur sa vie de couple. Rakel explique comment elle a trompé son mari avec un ami d'enfance, Martha comment elle a connu son mari à Paris et Karin évoque une histoire d'ascenseur en panne...

Chacun de ces segments permet au cinéaste d'explorer les différentes facettes du désir féminin. Rakel (sublime Anita Björk, mais toutes les déesses nordiques du cinéaste sont sublimes !) annonce les grandes héroïnes « frustrées » de Bergman, qui peinent à trouver l'harmonie sexuelle au sein de leurs couples. Avec une modernité assez étonnante (même si le film est très prude), Bergman filme frontalement et d'une manière très belle le désir qui naît sur le visage de Rakel lorsqu'elle retrouve son ami d'enfance. La scène du cabanon au bord de l'eau est d'une sensualité qui rend définitivement ringardes les timides audaces du très bourgeois les amants de Louis Malle.

Dans le deuxième récit, c'est une certaine lâcheté masculine que pointe le cinéaste en faisant du futur mari de Martha un être frivole, près à abandonner sa compagne alors qu'elle est enceinte (à sa décharge, il l'ignore). C'est sans doute au cours de ce récit que la mise en scène de Bergman se fait la plus éblouissante. Je pense à cette scène au cabaret où Martha s'exhibe sur scène pour un jeu sans que le cinéaste ait besoin de montrer la moindre chose : pas de dialogues, quelques plans sur des visages libidineux de spectateurs et le tour est joué. Idem pour la très belle scène de séduction à l'hôtel où l'expressivité des images du cinéaste (qui joue à merveille avec les ombres et la lumière) est assez admirable. C'est déjà du très grand cinéma qui navigue au bord de l'onirisme.

Enfin, Bergman finit par une note étonnamment légère (eu égard à sa réputation de grand maître austère) puisque l'épisode dans l'ascenseur est une vraie comédie où la diaboliquement séduisante Eva Dahlbeck prêche le faux pour obtenir le vrai. Pour son mari volage (le fidèle -si j'ose dire !- Gunnar Björnstrand), c'est l'occasion d'avouer ses fautes et après avoir maudit son enfermement dans un lieu clos (la pire chose imaginable, d'après lui, après les rats et les communistes alors que c'est mon rêve le plus cher que de me retrouver enfermé dans un ascenseur avec une plantureuse créature), il trouve moyen de se réconcilier avec sa belle comme dans la plus belle tradition de la comédie du remariage hollywoodienne.

Cette note légère n'est pas pour rien dans le charme inouï qui se dégage de cette œuvre sans doute mineure mais qui m'a beaucoup plus touché que certaines œuvres plus austères et, osons le mot, plus compassées de Bergman (les communiants, le silence). Il y a dans L'attente des femmes une légèreté, une fraîcheur (voir le final aussi revigorant que mélancolique) qui évoque le cinéma de Renoir (comme dans les plans campagnards qui ouvrent le film).

La profondeur de l'analyse psychologique et la gravité de certaines situations n'excluent pas une légèreté qui éclatera avec un brio inégalé dans le superbe Sourires d'une nuit d'été (toujours placé sous la bonne étoile de Renoir)

L'attente des femmes m'a semblé être une excellente surprise et assurément un grand film méconnu de Bergman, à redécouvrir d'urgence...

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