Vade-mecum du parfait cinéaste (extrait)
Le réalisateur doit changer de table à chaque repas
" Il faut faire des tours de rôles. Même si l'équipe s'aperçoit de votre calcul, elle sera contente de vous voir déjeuner un jour avec l'électricien, laissant pour une fois la vedette seule dans son coin. C'est d'autant plus vrai sur les gros tournages, techniciens et acteurs ont souvent tendance à former des clans séparés.
Reste à savoir si c'est vraiment un privilège de partager la table du réalisateur. Rien n'est moins sûr : les plus grands cinéastes sont souvent assez détestables dans le privé. Voir Pialat, ou Godard. Cela dit, Godard, il faut savoir le prendre. Mon frère, qui a joué dans les carabiniers, m'a expliqué comment. Il faut le faire rire, rallumer son âme d'enfant. Il a une âme d'enfant, et c'est excellent pour lui d'y revenir.
A l'inverse, les mauvais réalisateurs sont souvent des commensaux très agréables. Alain Robbe-Grillet, à mon avis le pire des cinéastes, était un commensal délicieux ; il fallait se battre pour pouvoir s'asseoir à côté de lui. Il a mis tout son génie dans sa vie et rien dans ses films. De même, les films de Claude Sautet sont consternants, sauf Boujour sourire ! (1955). Mais à vivre, magnifique. J'ai eu des rapports excellents avec de mauvais réalisateurs, Louis Daquin, Jean-Paul Le Chanois, Jean Dréville... Des copains formidables : on se tapait sur l'épaule, on se tutoyait. Ou bien vous êtes un être vivant, ou bien vous êtes réalisateur, c'est difficile de cumuler les deux. Renoir y est parvenu, même s'il était assez hypocrite. Ses principes étaient efficaces mais assez tordus.
On raconte que pendant les voyages, aucun membre de l'équipe ne voulait s'asseoir à côté de Naruse, parce qu'il n'ouvrait jamais la bouche. Il m'arrive parfois de ne pas ouvrir la bouche : quand je tourne, je pense à des choses... En voyage, il n'y a en revanche aucun problème, car je fais office de guide. Je connais tous les lieux : dans un kilomètre, vous allez voir telle église, penchez-vous pour voir tel truc... Je pense que je suis plus fort que Naruse en géographie. Sur le reste, je ne sais pas. "
Reste à savoir si c'est vraiment un privilège de partager la table du réalisateur. Rien n'est moins sûr : les plus grands cinéastes sont souvent assez détestables dans le privé. Voir Pialat, ou Godard. Cela dit, Godard, il faut savoir le prendre. Mon frère, qui a joué dans les carabiniers, m'a expliqué comment. Il faut le faire rire, rallumer son âme d'enfant. Il a une âme d'enfant, et c'est excellent pour lui d'y revenir.
A l'inverse, les mauvais réalisateurs sont souvent des commensaux très agréables. Alain Robbe-Grillet, à mon avis le pire des cinéastes, était un commensal délicieux ; il fallait se battre pour pouvoir s'asseoir à côté de lui. Il a mis tout son génie dans sa vie et rien dans ses films. De même, les films de Claude Sautet sont consternants, sauf Boujour sourire ! (1955). Mais à vivre, magnifique. J'ai eu des rapports excellents avec de mauvais réalisateurs, Louis Daquin, Jean-Paul Le Chanois, Jean Dréville... Des copains formidables : on se tapait sur l'épaule, on se tutoyait. Ou bien vous êtes un être vivant, ou bien vous êtes réalisateur, c'est difficile de cumuler les deux. Renoir y est parvenu, même s'il était assez hypocrite. Ses principes étaient efficaces mais assez tordus.
On raconte que pendant les voyages, aucun membre de l'équipe ne voulait s'asseoir à côté de Naruse, parce qu'il n'ouvrait jamais la bouche. Il m'arrive parfois de ne pas ouvrir la bouche : quand je tourne, je pense à des choses... En voyage, il n'y a en revanche aucun problème, car je fais office de guide. Je connais tous les lieux : dans un kilomètre, vous allez voir telle église, penchez-vous pour voir tel truc... Je pense que je suis plus fort que Naruse en géographie. Sur le reste, je ne sais pas. "
Luc Moullet. Notre Alpin quotidien (Editions Capricci)