Le mot magique
Fais-moi plaisir ! (2009) de et avec Emmanuel Mouret et Judith Godrèche, Frédérique Bel, Danny Brillant
Après vous avoir abandonné quelques temps, me voilà de retour avec une avant-première : qu'on n'aille pas me dire que je ne prends pas soin de vous !
Fais-moi plaisir !, le dernier opus d'Emmanuel Mouret (sortie prévue en salles : fin juin) n'étonnera aucunement les familiers des œuvres d'un cinéaste que je trouve de plus en plus attachant. Une fois de plus, on retrouve cette petite musique si particulière qu'il arrive à faire entendre de films en films : même héros masculin décalé et gauche (toujours joué par lui-même), même frontalité théâtrale de la mise en scène (ce qui n'empêche aucunement d'habiles jeux de cadrages et un montage dynamique), même intérêt pour le malentendu amoureux et les aléas du désir...
Ariane (la toujours très piquante et excellente Frédérique Bel) est persuadée que son mari Jean-Jacques (Emmanuel Mouret) fantasme sur une autre femme. Afin de ne pas empoisonner leur vie de couple, elle lui propose de concrétiser une fois l'aventure et de passer à autre chose. Jean-Jacques se rend donc à une soirée organisée par Elisabeth (Judith Godrèche, qu'on retrouve ici dans un registre fantaisiste qui lui sied à merveille : elle est à la fois totalement craquante et d'une drôlerie constante) qui va l'entraîner dans diverses mésaventures...
Avec Fais-moi plaisir !, Mouret pratique l'art de la fugue avec une vraie maestria. C'est d'abord au sens musical du terme qu'il faut entendre le mot « fugue », le film se composant de trois mouvements (Jean-Jacques et Ariane, Jean-Jacques et Elisabeth puis Jean-Jacques et la petite domestique - sublime Déborah François-) dont les enchaînements sont réglés comme du papier à musique. Le caractère rigide la construction narrative est, une fois de plus, allégé par la manière dont cinéaste « humanise » ces schémas très « mécaniques » de la comédie. La partition n'a rien de très « originale » mais c'est la manière dont le cinéaste l'interprète qui lui donne toute sa saveur.
Le comique de Mouret prend également une ampleur qu'on ne lui connaissait pas vraiment, si ce n'est peut-être dans Changement d'adresse. Ici, le registre de la comédie sentimentale souriante se double d'une vraie tentative burlesque.
Dans un premier temps, Fais-moi plaisir débute comme une comédie à l'américaine, construit autour du thème du désir et de sa frustration. On songe à Hawks (Allez coucher ailleurs) ou au film méconnu de Douglas Sirk (no room for the groom) en voyant cet homme qui ne parvient jamais, pour diverses raisons que je ne dévoilerai pas, à assouvir son désir sexuel.
Dans sa partie centrale, Fais-moi plaisir ! rend un hommage évident à La party de Blake Edwards. Tel Peter Sellers, Mouret se retrouve dans une réception dans la haute société et doit affronter un tas d'objets malveillants qui nous vaudront des scènes absolument tordantes, notamment avec un vase et un ministre japonais ou encore un rideau. Chaque espace (l'ascenseur, les toilettes...) regorge de pièges et devient une mine de gags que je vous laisse découvrir. Le miracle, c'est qu'en s'inspirant d'un tel modèle, Mouret parvienne à ne pas démériter. Le burlesque à la française est suffisamment rare pour qu'on salue avec panache cette tentative très réussie.
La troisième et dernière partie est peut-être un peu moins « drôle » mais elle donne tout son sens au film en lui conférant une épaisseur sentimentale que je trouve, au final, assez émouvante. Mouret reprend un peu les thèmes d'Un baiser s'il vous plaît en montrant les desseins sinueux du désir et en dévoilant les malentendus qui constituent le cœur de toute relation amoureuse. Le film ne sortant que dans plus d'un mois, je n'ai pas envie de développer plus avant cette question afin de vous laisser la surprise mais, par petites touches, le cinéaste parvient une fois de plus à rendre humaines toutes ces situations assez téléphonées.
Les maladresses et hésitations de Jean-Jacques deviennent les nôtres et expriment assez bien ce malentendu permanent du sentiment amoureux, cette manière que nous avons de ne pas trouver les mots au bon moment, cette idée que les choses auraient pu être autrement et que le principe de la « séduction » n'a rien de tangible, qu'il peut se réduire à un petit mot magique...
Sous ses allures de petite comédie sans prétention, Fais-moi plaisir ! parvient à parler de manière assez juste de ce que peut-être le désir amoureux aujourd'hui. Entre les Ch'tis et OSS, réservez une petite place pour une comédie fine et drôle qui s'avère être l'une des plus jolies surprises que le cinéma français nous ait réservé depuis un bon bout de temps...