L'aveugle à la caméra
Etreintes brisées (2009) de Pedro Almodovar avec Penélope Cruz
Est-ce une certaine lassitude, le soleil qui revient ou une fatigue permanente qui me tiennent éloignés de mon blog ? Peut-être un peu des trois sans parler de mille autres choses. Il s'agit sans doute d'une simple baisse de régime avant un retour en fanfare mais, pour l'instant, c'est avec beaucoup de difficultés que j'arrive à aligner deux, trois phrases à peu près cohérentes (du moins, je l'espère) sur « papier ».
Vous aurez donc sans doute constaté qu'il n'a été aucunement question du festival de Cannes en ces pages. Pour être tout à fait franc, mis à part le palmarès que je m'apprête à écouter, je n'ai absolument pas suivi cette grande messe annuelle qui m'ennuie à peu près autant qu'une campagne électorale pour une quelconque et grotesque élection ou un bilan comptable. Moi qui suis plutôt friand de listes et de « classements » subjectifs, j'avoue que cet esprit de compétition officiel ne me sied guère. Finalement, à part les magnifiques chroniques cannoises de l'ami Joachim (à retrouver ici), la seule chose qui m'intéresse dans ce festival, ce sont les films au moment de leurs sorties.
En attendant ceux qui me font très envie (Alain Resnais, bien entendu, mais également Lars Von Trier, Tsai Ming-Liang, Bellocchio et beaucoup d'autres), le dernier opus de Pedro Almodovar a ouvert la salve de tirs cannois.
Etreintes brisées, beau titre pour un mélodrame qui met en scène un ancien cinéaste devenu aveugle et converti depuis à l'écriture de scénario. Comme d'habitude, le récit proposé par Almodovar est assez dense et il me paraît bien inutile de le résumer. Mais si vous voulez tout savoir, sachez que le cinéaste nous replonge peu à peu dans le passé de Mateo pour nous narrer l'histoire d'amour qui le lia à la belle Magdalena (Penélope Cruz) et ses conséquences tragiques.
Il ne s'agit pas pour moi de me mettre désormais dans la peau de ces petits détracteurs aigris qui tentent en vain d'affirmer une improbable identité en bavant systématiquement sur les cinéastes aimés et reconnus par tous mais je dois reconnaître que le dernier opus du maître m'a un poil déçu. Entendons-nous bien : le film est agréable à suivre et il possède une élégance qu'on souhaite à beaucoup de cinéaste dans le monde. Il n'a donc rien de honteux mais il ne possède pas non plus le lyrisme et l'épaisseur des plus grandes réussites d'Almodovar (je pense au sublime Parle avec elle ou à Tout sur ma mère pour ce qui est du registre du mélodrame).
Pour la première fois peut-être depuis toujours (même si je suis plus réservé sur certains films d'Almodovar comme La mauvaise éducation, je dois avouer que je n'ai jamais eu ce sentiment jusqu'à présent), j'ai l'impression que le cinéaste fait « du Almodovar ». Ses scénarios sont toujours très écrits, ne ménageant jamais les coups de théâtres invraisemblables et les intrigues tirées par les cheveux mais cette fois, on a un peu l'impression que le cinéaste s'en tient uniquement à ce programme scénaristique. A part quelques scènes très belles, le film est assez peu habité et se contente de suivre son petit bonhomme de chemin sans réelles surprises. Alors bien sûr, l'exégète d'Almodovar reconnaîtra les traits spécifiques du bonhomme : le rapport de filiation, son sens du portrait féminin, son goût pour les récits complexes et les décors colorés... mais tout cela semble un peu convenu ou, du moins, attendu.
Il y a également quelque chose de presque « scolaire » dans Etreintes brisées en ce sens qu'Almodovar souligne un peu trop le caractère référentiel de son film : références à la fois à son propre cinéma mais également références multiples, notamment à l'histoire du cinéma. Un exemple : la cécité du personnage principal et le caractère mélodramatique du film renvoie bien évidemment au Secret magnifique de Douglas Sirk. Or lorsque Mateo souhaite « regarder » un film, il énumère les films de sa DVDthèque et tombe, bien entendu, sur le film de Sirk. Et tout est un peu de cette eau : lorsque Mateo raconte l'histoire du fils d'Arthur Miller, on se doute que ce court récit va se retrouver, sous une autre forme, dans la trame du film.
Déroulant son programme sans réelle inspiration (diable, me voilà quand même bien sévère !), le film ne touche que par intermittence et l'on n'est que trop rarement ému. Ca arrive, comme dans la très belle scène qui ouvre le film (ce merveilleux hommage à la parole est d'une sensualité rayonnante) ou encore le très beau passage où le couple est touché par Le voyage en Italie de Rossellini.
Ce qui fonctionne le mieux dans Etreintes brisées, c'est sans doute le côté « personnel » du film et tout ce qu'il dit par rapport au cinéma, cette manière qu'a le personnage de réinventer son passé et son histoire personnelle grâce au cinéma. D'une certaine façon, l'histoire du film est celle d'un regard qui renaît à la vie, d'un cinéaste qui parvient à « monter » d'une nouvelle façon les scènes qu'il a vécues.
Cette renaissance, elle permet à Almodovar de dessiner un superbe portrait de femme, Magdanela, que Penélope Cruz incarne avec une conviction qui force le respect. C'est à coup sûr son meilleur rôle.
Après cela, j'avoue que je n'ai pas grand-chose à dire de ce film qui lorgne parfois vers une « qualité festival » un peu convenue.
C'est élégant, avec cette patte stylée qui fait désormais la marque de fabrique d'Almodovar mais il ne faudrait pas que le cinéaste s'encroûte dans le style de films qu'il sait faire (assurément) et que tout le monde attend de lui.
De l'audace, que diable, de l'audace !
PS : J'apprends qu'on vient d'attribuer un « prix exceptionnel » à Resnais tandis qu'Isabelle Huppert énumérait consciencieusement les titres de gloire du cinéaste (Nuit et brouillard, Hiroshima, mon amour etc.). Mais bordel ! Resnais est un cinéaste vivant et le plus inventif, le plus jeune et le plus admirable de nos réalisateurs ! Pas un film français n'arrive à la cheville de Cœurs ces 10 dernières années et les herbes folles m'a l'air excellent. Pourquoi cet embaumement ridicule ? Trop vieux pour avoir une palme ? (censuré) (j'avais mis une insulte et puis je me suis raisonné)