Muriel ou le temps d'un retour (1963) de Alain Resnais avec Delphine Seyrig



Puisque les herbes folles ne sort pas tout de suite et qu'il semble désormais acquis qu'Alain Resnais ne peut-être admiré que pour ses œuvres « historiques », replongeons-nous dans les premières œuvres du cinéaste.

Muriel ou le temps d'un retour est son troisième long-métrage : après Duras et Robbe-Grillet, Resnais fait à nouveau appel à un écrivain (Jean Cayrol) pour rédiger le scénario de son film. Si Muriel n'est pas, rétrospectivement, le film le plus « séduisant » de son auteur (la fatigue n'aidant sûrement pas tellement à appréhender une certaine aridité du propos), il s'inscrit parfaitement dans une œuvre dont la cohérence n'est désormais plus à démontrer.

En deux mots, pour ceux qui n'auraient pas vu le film, Resnais nous narre l'histoire d'Hélène, une séduisante veuve (l'immense et magique Delphine Seyrig) qui invite à Boulogne-sur-mer Alphonse, un homme qu'elle a passionnément aimé au moment de la guerre. Hélène vit également avec Bernard, son beau-fils, qui n'arrive pas à se débarrasser du souvenir de Muriel, une jeune femme qu'il a connue en Algérie...

D'une certaine manière, Alain Resnais raconte toujours la même histoire : celle d'un homme et d'une femme qui se sont aimés autrefois et qui tentent de retrouver ce que le temps a fini par digérer et effacer. Marcel Oms, dans son essai sur Resnais, parle de la figure récurrente du mythe d'Orphée dans son œuvre, que l'on retrouve aussi bien dans L'année dernière à Marienbad que dans Je t'aime, je t'aime puisqu'il s'agit toujours pour le personnage d'aller rechercher et de retrouver la femme aimée dans les Enfers du Temps.

Si Muriel apparaît dans un premier temps comme un film moins « séduisant », c'est qu'il ne possède pas l'incroyable force plastique d'Hiroshima mon amour ou de L'année dernière à Marienbad. On reste ici, du moins en apparence, au ras d'un quotidien assez terne et cette chronique d'un amour défunt dont les protagonistes tentent de raviver les braises peut sembler moins attrayante dans un premier temps que les grands films « formalistes » de Resnais (j'avoue que je préfère le méconnu et superbe Je t'aime, je t'aime).

Pourtant, l'œuvre est d'une rare cohérence avec ce que le cinéaste a fait jusqu'alors. Il s'agit pour ses personnages de remonter le Styx de la mémoire afin de se remémorer un amour perdu. Or ce retour sur une histoire individuelle se double souvent d'une réflexion plus globale sur l'Histoire et la mémoire.

Comme dans Hiroshima mon amour, Alain Resnais met en parallèle l'histoire individuelle et l'histoire collective, analysant ce qui dans les souvenirs et la fuite du temps perçus d'une manière individuelle peut se retrouver métaphoriquement au niveau de la grande Histoire.

Resnais part à la recherche de traces : traces des passions d'autrefois mais également traces de mémoire collective. Au « tu n'as rien vu à Hiroshima » répond ici la ville de Boulogne-sur-mer, détruite pendant la guerre et en pleine « reconstruction » (des immondes barres d'immeubles). Déjà dans Nuit et brouillard, le cinéaste filmait des traces de l'Histoire avec cette conscience implacable du temps qui passe et qui efface. Dans Muriel, aux bribes d'une histoire ancienne se mêlent les traces d'une guerre qui ne veut pas dire son nom : celle d'Algérie. Aucun didactisme chez Resnais : la forme privilégiée est celle du non-dit, de l'ellipse, du mystère et des bribes de passé qui ne cessent d'influer sur le présent. Et cette conscience que si le cinéma ne peut lutter contre l'oubli et le temps, il peut néanmoins parvenir à saisir quelques bribes d'une histoire, qu'elle soit collective ou individuelle.


C'est là que Resnais tire d'ailleurs le mieux son épingle du jeu : alors que le récit pourrait n'être qu'une simple chronique naturaliste sans réel relief, la mise en scène parvient à créer un étrange puzzle et à complexifier à l'extrême la nature des liens qui unissent les personnages. Comme toujours, le montage est génial et offre une vision « cubiste » de la réalité (ces scènes morcelées en plans très courts qui créent à la fois une étrangeté, une inquiétude et le sentiment que le Réel possède mille facettes à explorer). Resnais joue aussi beaucoup sur la musicalité de sa mise en scène : la partition de Hans-Werner Henze apportant un contrepoint subtil à la composition et l'agencement très travaillés des plans.

Muriel ou le temps d'un retour, sous son voile presque « banal » est un film qui parvient parfaitement à épouser les contours fébriles de la mémoire et à nous émouvoir en tentant de saisir, en vain, des traces d'un passé soumis au diktat intraitable du temps qui passe...

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