Boulevard du crépuscule
Le secret de Veronika Voss (1981) de Rainer Werner Fassbinder avec Rosel Zech, Hilmar Thate.
Après Le mariage de Maria Braun, Lili Marleen et Lola, une femme allemande ; Le secret de Veronika Voss est le dernier volet de la « tétralogie » que Fassbinder consacra à l'Allemagne à partir de portraits de femmes. Situé au milieu des années 50, le film décrit la déchéance d'une « vieille » actrice qui fut l'une des grandes stars de la UFA pendant les années de guerre et le régime nazi. Un jour, le journaliste Robert Krohn rencontre Veronika, s'amourache d'elle et va tenter de percer à jour son secret...
Tourné dans un noir et blanc splendide, Le secret de Veronika Voss est un film entièrement hanté par le passé. Passé d'une femme qui fut une star et qui évoque, bien entendu, le personnage incarné par Gloria Swanson dans Sunset boulevard de Billy Wilder. Veronika vit dans un monde d'illusions et de reflets (à l'image de la première scène où chaque plan scintille de mille feux) qui est celui du cinéma. Sous les feux des projecteurs, elle est pourtant désormais condamnée à subir avec une grande violence le regard des autres.
La première fois qu'elle rencontre Krohn, ils prennent le bus ensemble : la caméra de Fassbinder isole le couple du reste du monde, à savoir des passagers qui toisent l'ex-star avec un air sévère. On retrouve alors cette dialectique propre à chaque film de Fassbinder où la sphère privée s'oppose violemment à la société des hommes. Une fois encore, la violence des rapports sociaux se répercute au niveau privé, laissant l'individu seul et à terre.
A travers la relation douloureuse entre la star déchue et le journaliste, le cinéaste rend une fois de plus hommage à son genre préféré : le mélodrame. Rien d'outré cependant dans ce film au lyrisme sec et froid, qui parvient à faire naître l'émotion avec retenue et cette distance chère à Fassbinder.
Comme toujours, le destin individuel de cette femme dessine en filigrane le tableau d'une époque et d'une société. Soumise autrefois au régime nazi, Veronika est désormais séquestrée par un docteur qui la gave de morphine. On retrouve ici le thème cher à Fassbinder des rapports de soumission/domination qui légifèrent la grande partie des rapports humains (Cf. des chefs-d'œuvre comme Martha ou Les larmes amères de Petra von Kant). Actrice, les sunlights du cinéma aveuglaient Veronika Voss quant à la réalité du régime dans lequel elle évoluait (réalité qui resurgit ici et là, notamment à travers le personnage de ce vieil homme, anciennement déporté à Treblinka). Désormais, c'est la drogue qui lui procure cette illusion. Tout comme le personnage de Maria Braun représentait une sorte de métaphore de la reconstruction miraculeuse de l'Allemagne d'Adenauer (avant l'explosion finale), Veronika Voss incarne une Allemagne prisonnière de son passé et qui refuse pourtant de l'analyser lucidement, de s'y confronter.
Godard disait de Fassbinder qu'il était le seul cinéaste allemand à s'être coltiné toute l'histoire de son pays. Une fois encore, il en dresse un tableau à la fois pessimiste et désenchanté mais relativement lucide en enchâssant de manière fort habile la tragédie individuelle et une réflexion sur un destin collectif.
En empruntant la forme du mélodrame (mâtiné d'expressionnisme, avec cette image merveilleusement contrastée qui est tout simplement sublime), Fassbinder parvient à éviter les pièges du « modernisme » brechtien lorsqu'il s'agit de créer une distance entre le spectateur et ce qui est montré. Dans le secret de Veronika Voss, il trouve un équilibre entre une émotion « brute » et un point de vue distancié au cœur même du « Spectacle », offrant toujours au spectateur la possibilité d'une réflexion au sein d'un monde d'illusions.
Du coup, même si le secret de Veronika Voss n'est peut-être pas le film le plus « séduisant » du cinéaste, il reste un jalon important à la fois dans l'œuvre de Fassbinder (qu'on n'a pas fini de redécouvrir) et dans l'histoire du cinéma tout court...