I love Paris
Paris vu par... (1963) de Jean Douchet, Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol avec Stéphane Audran, Claude Chabrol, Claude Melki, Micheline Dax, Barbet Schroeder
Indépendamment des œuvres majeures que purent réaliser par la suite les cinéastes qui en furent les initiateurs, la Nouvelle Vague fut aussi un phénomène de mode. A cette époque, les producteurs voyaient d'un bon œil ces jeunes gens prêts à affronter l'épreuve du premier film et ces nouvelles méthodes de tournages, aussi révolutionnaires qu'économiques (tournages en extérieurs, acteurs non professionnels ou débutants...).
Pourtant, quelques années plus tard, les films estampillés « nouvelle vague » ne connaissent plus le succès qui accueillit dans un premier temps Les quatre cents coups, A bout de souffle ou Hiroshima mon amour. Rohmer et Rivette peinent à sortir leurs premiers longs-métrages et personne ou presque ne verra le merveilleux Adieu, Philippine de Jacques Rozier.
Dans ce contexte, le film à sketches Paris vu par... tient à la fois lieu de « coup promotionnel » (réunir les cinéastes de la « Nouvelle Vague » le temps d'un film collectif sur le thème inusable de Paris) et de véritable manifeste puisqu'on retrouve dans tous ces courts-métrages l'essence de ce style qui désigna le mouvement.
Contrairement à beaucoup de films « à sketches », il se dégage de celui-ci une impression d'homogénéité dans la qualité des oeuvres. On ne trouvera aucun chef-d'œuvre dans le lot mais tous sont intéressants et témoignent dans leur diversité d'un certain esprit propre au mouvement.
Prenons pour commencer la question de la ville, puisque la commande semble impliquer un portrait en coupe de la capitale. Si quelqu'un comme Rohmer (Place de l'étoile) joue totalement la carte de la topographie parisienne en suivant le trajet extraordinairement précis de son personnage ; il est évident que les films de Pollet, Godard ou même Chabrol auraient pu se dérouler n'importe où.
Jean Douchet met en scène un petit marivaudage au cœur du quartier Latin (d'où l'étudiante américaine et les personnages d'artistes bohèmes) qui pêche un peu par une interprétation assez calamiteuse (la fille étant celle qui s'en tire le mieux) mais qui séduit par sa liberté de ton (de la même manière que le film de Rohmer, le court-métrage débute comme un « documentaire » qui présente les lieux avant d'en venir à la fiction).
Jean Rouch nous offre le film le plus « sombre » du lot. Tourné dans le quartier de la Gare du Nord, le cinéaste enregistre à la fois les mutations de Paris (les grues, les constructions de nouveaux immeubles) et une certaine déshumanisation qui va de pair avec ce nouvel espace urbain. Odile et Jean-Pierre forment un couple qui s'enfonce peu à peu dans la routine et l'érosion des sentiments (Jean-Pierre, incarné par le cinéaste Barbet Schroeder -par ailleurs producteur du film- ne se préoccupe désormais plus que de sa bouffe). Naissent alors dans l'esprit d'Odile des « songes vains » [Richepin] et le désir d'être emporté « sans rameurs sur un fleuve inconnu » [Richepin]. Je ne révèlerai pas la chute dont la cruauté apporte une certaine densité à la mélancolie que distille ce sketch.
En revanche, Rue Saint-Denis de Jean-Daniel Pollet est une comédie qui permet au cinéaste de confronter deux natures comiques : d'un côté, la gouaille parisienne de Micheline Dax, de l'autre, le caractère lunaire de Claude Melki dont le visage singulier et l'impassibilité à la Buster Keaton feront également des merveilles dans l'acrobate et l'amour c'est gai, l'amour c'est triste.
Godard et Chabrol restent, quand à eux, assez fidèles à leurs styles. Pour l'auteur du Mépris, il s'agit de filmer une petite anecdote d'après Giraudoux afin de se livrer à quelques expérimentations stylistiques (les dialogues qui commencent à se noyer dans le bruit ambiant) et à traiter quelques thèmes déjà vus dans ses films précédents (le malentendu amoureux, la trahison féminine...)
Quant à Chabrol, il livre avec La muette une de ces satires dont il a le secret, incarnant lui-même l'odieux bourgeois fier et arrogant, se rengorgeant de ses propres absurdités (une savoureuse discussion autour de la peine de mort avec sa femme jouée par Stéphane Audran) et ne renâclant pas lorsqu'il s'agit d'aller lutiner l'employée de maison. Chabrol joue à merveille avec la question du point de vue en filmant son récit du point de vue du jeune fils du couple, qui tente de s'isoler de cet univers en se mettant des boules Quies. Ne restent alors plus que des grimaces et des mimiques grotesques qui achèvent de rendre ridicule la parole de cette bourgeoisie arriviste.
Episode le plus réussi du projet, la muette conclue avec ce qu'il faut de verve et de mordant ce Paris vu par...