Merci pour le chocolat (2000) de Claude Chabrol avec Isabelle Huppert, Jacques Dutronc, Anna Mouglalis



Saluons l'excellente initiative de nos amis cinéphiles américains qui ont lancé cette semaine un « blogathon » consacré à Claude Chabrol, un de nos plus grands metteurs en scène encore en activité même si la critique « officielle » a tendance à le négliger un peu injustement ces derniers temps.

Cette grande opération internationale m'a poussé à fouiller dans les rayons de ma bibliothèque et à ressortir le DVD de Merci pour le chocolat, offert par mon petit frère il y a un bon moment. 

Pour le dire tout à fait franchement, le film m'avait un peu déçu lorsque je l'avais découvert à sa sortie. Alors que la plupart des films précédents du cinéaste m'avaient totalement emballé (des merveilles comme La cérémonie ou Au cœur du mensonge), celui-ci m'avait un peu déconcerté.

Il faut dire que Merci pour le chocolat repose sur une trame narrative assez improbable (une suspicion d'échange de bébés dans une clinique à la Vie est un long fleuve tranquille) et que le côté « policier » de l'œuvre est totalement déceptif. Parti tourné en Suisse, Chabrol joue ici la carte de l'épure glacée et commence à opérer ce travail de sape au cœur de l'image qu'il poursuivra dans ses derniers films (L'ivresse du pouvoir, la fille coupée en deux, Bellamy).

Il m'a fallu redécouvrir ce film (que je trouve désormais formidable) pour mesurer aussi l'intelligence du jeu des comédiens alors que j'avais trouvé, dans un premier temps, qu'ils se caricaturaient un peu eux-mêmes.

Revoir Merci pour le chocolat m'a permis de mesurer à quel point les enjeux du film ne sont pas plus dans l'intrigue policière que dans les éléments « psychanalytiques » imputables à la scénariste Caroline Eliatcheff (je pense qu'elle est d'ailleurs la cause de certaines lourdeurs qu'on trouve dans un film comme La fleur du mal). L'enjeu principal, c'est Isabelle Huppert qui l'énonce à un conseil d'administration de l'entreprise de chocolat dont elle a hérité : « il faut sauver les apparences, il n'y a que ça qui compte » (elle parle, en l'occurrence, de l'emballage de ses chocolats).

Merci pour le chocolat est un film sur les apparences. Vous me direz que ce n'est pas nouveau dans la filmographie de Chabrol. Mais ce qui commence à changer, c'est que le cinéaste n'est désormais plus obligé de « traverser » ces apparences (souvenez-vous de la tirade finale de Philippe Noiret dans Masques) mais de saisir la noirceur des êtres tout en restant à la surface des choses. Pour l'inconditionnel de Fritz Lang qu'est Chabrol, le « secret » est toujours « derrière la porte » mais il n'est plus nécessaire d'ouvrir cette porte pour plonger dans les abymes.

D'où le côté glacial de ce film où seuls quelques éléments incongrus (ce chocolat que renverse Isabelle Huppert) troublent l'ordonnancement trop « propre » des choses. Le cinéaste n'a même plus besoin de recourir à la satire pour être ironique lorsqu'il filme une réception mondaine ou le rituel d'un CA d'une grande entreprise. Il se contente juste de jouer sur des variations de points de vue (la mise en scène joue beaucoup sur ces changements d'axe et des éléments comme les vitres et les miroirs) pour brouiller les pistes et nous amener à nous demander « qui regarde qui ». Du coup, ce que le film perd en séduction immédiate, il le gagne en ambiguïté et en opacité. Aucun personnage n'est tout « blanc » ou tout « noir » dans Merci pour le chocolat (vous aurez noté la finesse du trait d'esprit) et chacun d'entre eux porte son secret, son mystère. C'est évidemment Marie-Claire (Isabelle Huppert) qui est au cœur de la toile d'araignée et qui porte en elle tous les secrets du film, dont beaucoup ne seront finalement pas dévoilés.

Désormais, Chabrol n'élucide plus rien (ou du moins, ce qu'il « résout » n'est que l'anecdote) et se contente d'observer avec l'ironie et le détachement souverain d'un Buñuel ses contemporains. Depuis quelques années, la plupart de ses héros sont artistes (le peintre d'Au cœur du mensonge, l'écrivain de la fille coupée en deux, le pianiste ici...) Il s'agit sans doute pour Chabrol de s'inventer des doubles capables de traduire son rapport au cinéma et au Réel. Le pianiste l'explique ici à sa jeune élève (la sublime Anna Mouglalis, dont il faut louer les grandes qualités d'actrice) : la partition n'est qu'une trame et tout doit s'exprimer par le toucher. Un toucher qui ne doit être ici qu'effleurement et suggestion.

C'est une belle image pour définir le cinéma récent de Claude Chabrol : la partition est peut-être toujours la même (ce reproche fatiguant qui revient à chaque film sous la plume de ses détracteurs) mais le toucher se fait de plus en plus fin pour donner des films de plus en plus denses et profonds...


NB : Outre les belles contributions de Vincent et Ed, le blogathon nous auras permis de nous donner des nouvelles de l'ami Griffe dont le texte sur La cérémonie est absolument remarquable. N'hésitez pas à apporter votre contribution...

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