Whatever works (2009) de Woody Allen avec Larry David, Evan Rachel Wood



Retour à New York pour Woody Allen après ses escapades européennes (du Londres de Match point au Barcelone de Vicky, Cristina, Barcelona) et retour à la franche comédie sarcastique avec ce Whatever works aussi hilarant que jubilatoire.

Si Woody Allen n'apparaît pas dans ce film, il est évident que le personnage de Boris (incarné par Larry David), intellectuel misanthrope et hypocondriaque, est son parfait alter ego.

Dès la première scène, on est ébloui par le génie du cinéaste pour nous plonger immédiatement au cœur de son univers : il suffit de quelques secondes pour que la fiction s'emballe et que fleurisse le romanesque. Comme au bon vieux temps de Annie Hall, Boris s'adresse directement au spectateur, sur le mode du gémissement (à quoi bon vivre ?) et de l'invective (l'humanité entière, y compris ceux qui sont en train de contempler le spectacle, est à vouer aux gémonies). La tirade est aussi brillante que tordante, le cinéaste ayant le bon goût de distancier des propos parfois « adolescents » (« tout est pourri ») par des plans de coupe où des quidams s'effraient de voir ce cinglé parler tout seul...

Ce préambule permet de mettre la fiction en branle et de revenir sur l'histoire peu ordinaire de Boris qui voit sa vie basculer le jour où Mélodie, une jolie blondinette arrivée de son Mississipi natal, débarque affamée dans son appartement et lui réclame l'hospitalité...

Postulat invraisemblable que Woody Allen traite avec la même candeur souveraine que les grands classiques hollywoodiens, nous réservant une confrontation épique entre la jeune écervelée (je ne connaissais pas Evan Rachel Wood mais elle est craquante à souhait et d'une drôlerie constante) et le vieux professeur nihiliste et désabusé. On songe bien évidemment aux rapports entre Higgins et sa pupille dans My fair lady de Cukor sauf que Boris renonce très vite à apprendre quoi que ce soit à la mignonne. Les répliques hilarantes fusent sans arrêt (cela faisait longtemps que le dialoguiste Allen n'avait pas été aussi inspiré) et ceux qui ne confondent pas systématiquement « mise en scène » et cadrages alambiqués ou images léchées admireront sans réserve le sens du rythme du cinéaste et la perfection du découpage de cette mécanique comique irrésistible.

Whatever works est un véritable conte : face à l'arrivée impromptue de la petite « plouc » du Sud, l'attitude de Boris (qui donne des cours d'échecs aux enfants en n'hésitant pas à les insulter) va évoluer, surtout lorsque la jeune fille va lui avouer qu'elle s'est attachée à lui. Cette relation d'un homme âgé avec une ravissante jeunette rappelle celle qui unissait Woody Allen et Mariel Hemingway dans Manhattan. Comme dans ce film, le cinéaste parvient également à faire sourdre l'émotion au détour d'un détail (le vieux misanthrope qui se calme et s'émerveille devant Fred Astaire) ou d'une scène (la « rupture », traitée de manière si fine et si juste).

Comme dans Vicky, Cristina, Barcelona, Woody Allen part de « clichés » (c'est le mot qu'emploie d'ailleurs régulièrement le couple vedette du film), les presse à l'extrême pour saisir le suc de vérité qu'ils recèlent toujours. Les personnages sont d'abord moulés de façon presque monolithique (le « génie » et la « ravissante idiote ») avant d'évoluer, de se polir et de s'enrichir au contact de l'Autre. Certains évoluent d'ailleurs (c'est le cas des parents de Mélodie) d'un extrême à un autre (les ploucs réacs se changent en hédonistes branchés urbains), à tel point que certains ne manqueront pas de parler de caricature.

Mais, d'une part, la caricature permet aussi la comédie et cela fait beaucoup de bien de voir un cinéaste américain railler avec tant de vigueur le puritanisme de son pays et de taper sur la bigoterie généralisée, le racisme ambiant d'un pays qui élit un Noir à la Maison-Blanche alors que celui-ci ne serait pas accepté dans un taxi new-yorkais et la recrudescence des idées réacs (même si bien évidemment ces critiques sont malheureusement presque davantage d'actualité dans notre sale vieille Europe !)  

D'autre part, cela permet à Woody Allen de montrer que chacun est prisonnier de sa propre image stéréotypée. Il ne s'agit pas de jouer l'intellectuel brillant contre le bouseux adepte des concours de beauté de province, mais de montrer que personne n'échappe à certains ridicules en se cloisonnant derrière ses certitudes et ses « clichés ».

Si le fond de l'air est toujours noir chez Woody Allen (rien ne saurait nous consoler de cette vallée de larmes dénuée de sens qu'est l'existence humaine), il choisit néanmoins de jouer la carte de l'optimisme et du bonheur malgré tout. Ce bonheur passe ici par la seule volonté de s'ouvrir un tout petit peu à l'Autre, même si celui-ci n'est rien d'autre qu'un méprisable ver de terre comme tous les êtres humains.

Il y a une vraie générosité pour les personnages dans Whatever works, petits hommes vivants d'espoir ou de désillusions mais bien décidés à en profiter malgré tout.  Woody Allen se rapproche même beaucoup, à certains moments, d'un Frank Capra auquel il fait une succulente allusion.

La vie est dénuée de sens, certes, mais comptons sur tous ces hasards infinitésimaux qui permettent les rencontres et les liens sentimentaux. Misons sur les petits bonheurs malgré tout (là encore, on songe à la fameuse scène de Manhattan où Woody Allen énumère les raisons qui lui font apprécier la vie) et « le tout est que ça fonctionne ».

Whatever works ! 

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