The girlfriend experience (2009) de Steven Soderbergh avec Sasha Grey



Difficile de suivre ce drôle de zèbre qu'est Steven Sorderberg. Lancé il y a 20 ans par le succès de Sexe, mensonge et vidéo, parangon d'un certain cinéma « indépendant » de la fin des années 80, il n'a eu de cesse depuis de brouiller les pistes, pour le meilleur et pour le pire.

Le meilleur, ce sont ses exercices de style brillants comme Hors d'atteinte, Erin Brokovitch ou même le premier Ocean's eleven, exemples convaincants d'un néo-classicisme inspiré. Le pire, ce sont toujours des exercices de style mais creux et vains, à l'image du sketch d'Eros, du soporifique Kafka ou, je suppose (mais je ne l'ai pas vu), de son biopic sur le Che.

Entre deux grosses productions avec son complice Clooney, Soderbergh réalise également de petits films indépendants comme Bubble il y a quelques années. C'est dans cette veine que s'inscrit The girlfriend experience, récit du morne quotidien d'une escort-girl naviguant entre ses clients et son petit ami « officiel ».

Au premier abord, rien de renversant dans ce film où le cadre est soigné et la photo léchée à souhait. On croit se retrouver face à un exercice de style de plus de la part du cinéaste, tout en restant un peu perplexe sur les tenants et aboutissants de son récit. Et puis voilà que les choses se complexifient un peu, après un début très « behavioriste » où Soderbergh filme froidement les faits et gestes de sa prostituée de luxe (jouée par une Sasha Grey assez convaincante et dont j'ignorais qu'il s'agissait d'une star du porno américain). On se rend compte que le cinéaste n'opte pas pour une narration linéaire mais qu'il la « déconstruit » en douceur, cherchant davantage à rassembler les pièces d'un puzzle impossible (le portrait de cette jeune femme) plutôt que de raconter une « histoire ». Avec une maestria certaine, il parvient à se jouer de la chronologie sans pour autant perdre le spectateur. Ce qui pourrait n'être perçu que comme une afféterie « moderniste » se révèle assez efficace pour approcher de la « vérité » de Chelsea/Christine.

Qui est la véritable Christine ? Une femme d'affaire vénale ? Une jeune fille de son époque qui monnaie ses charmes pour réussir ? Une idéaliste en quête du grand amour au-delà de son sordide destin ?

Soderbergh ne tranche pas et livre un film étonnamment glaçant, où toute chaleur humaine semble avoir totalement disparu. The girlfriend experience m'a fait songer à certains romans de Bret Easton Ellis (en enlevant le côté « trash » du romancier) : une description impitoyable de la réification totale de notre monde. On pense au romancier surtout lorsque Christine évoque, en voix-off, ses soirées à la manière d'un compte-rendu objectif, avec ce que cela suppose de descriptions minutieuses des marques qu'elle portait alors sur elle. Les rapports humains ne se réduisent plus aujourd'hui qu'à une simple relation économique dont le corps est la principale valeur d'échange.

La prostitution est une métaphore assez couramment usitée lorsqu'il s'agit d'évoquer la violence des rapports humains en milieu capitaliste. Soderbergh généralise cette métaphore à toutes les strates de la société puisque, d'une certaine manière, le petit ami de Christine (coach dans une salle de sport) fait le même « métier » qu'elle, vendant ses services à des gens désireux de « soigner » leurs corps, à savoir leur véritable capital.

A travers toutes les tentatives effectuées par la jeune femme pour mieux se faire « connaître » (entretien avec un journaliste, site Internet...), le cinéaste décrit l'état d'une société ne vivant qu'autour de l'apparence et du profit. Le film, qui navigue entre hôtels de luxe, galeries d'art moderne (fonds blancs, évidemment) et lofts « high tech », donne un sentiment assez oppressant d'une totale déshumanisation, de rapports humains qui n'existent désormais plus qu'en tant que rapports économiques (les discussions politiques qu'ont parfois les personnages au sujet de l'élection présidentielle semblent d'ailleurs frappées d'une vacuité qui montre à quel point le véritable pouvoir se situe désormais ailleurs qu'à la Maison-Blanche ou dans un quelconque hémicycle !).

A un moment donné, Christine semble percer sous l'écorce de Chelsea (je n'en dirai pas plus) mais ça ne sera qu'une illusion amère.

Il n'existe plus aucun espoir dans nos sociétés capitalistes modernes dont Soderbergh, d'humeur plutôt noire, dresse un tableau désenchanté et sans concession...

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