A bas la police des moeurs!
Le roi de l'évasion (2009) de Alain Guiraudie avec Ludovic Berthillot, Hafsia Herzi
Drôle de zigue que cet Alain Guiraudie, cinéaste capable de parler des évolutions de notre société française de manière originale, sans jamais se vautrer dans la basse sociologie ou la psychologie de café du commerce. Ce que son cinéma peut avoir de « naturaliste » au premier abord n'est qu'un leurre et rien ne lui plaît autant que d'emprunter des chemins de traverse.
Le roi de l'évasion ne dépareille pas dans son œuvre singulière : cette chronique campagnarde narrant les amours contrariés d'un VRP en tracteurs et d'une collégienne de 16 ans (la sublime Hafsia Herzi, qui nous avait déjà emballés dans La graine et le mulet) vire vite à la fable libertaire, le vaudeville rustique et le film d'aventures tarnais.
Il faut entendre « roi de l'évasion » dans tous les sens du terme. D'une part, parce que le film raconte, en grande partie, la cavale du couple à travers bois et ruisseaux (et grâce à l'aide d'une racine miraculeuse que je vous laisse découvrir) : aventures farfelues et hautement invraisemblables mais vraiment rafraîchissantes. D'autre part, parce que l'œuvre complète de Guiraudie invite à « l'évasion » et à la fuite. Fuite devant les sentiers battus, les préjugés et les morales rétrogrades (qui sont toujours celles des autres, comme le chantait justement Léo Ferré).
Armand doit fuir parce que, d'une part, il s'amourache d'une jeune fille mineure et qu'il se heurte au père de sa douce. D'autre part, parce que notre sympathique quadragénaire est, en temps normal, homosexuel, ce qui fait de lui un être doublement « louche » aux yeux d'une société de plus en plus policière. Guiraudie joue d'ailleurs de façon très amusante sur la manière dont la société persiste à vouloir placer un flic derrière chaque individu pour surveiller ses mœurs en faisant apparaître régulièrement un policier (Stéphane Clavier avec ses faux airs d'Alain Juppé est fort drôle) qui semble tout savoir des désirs d'Armand.
A cette société qui cherche à cataloguer les individus et à les enfermer dans le cadre unique d'une sexualité définie une fois pour toute (« homo », « hétéro »...), Guiraudie oppose la toute-puissance d'un désir vagabond et d'un sentiment amoureux qui se pose là où il veut.
Au-delà d'un récit qui s'essouffle parfois (c'est la limite du film), le roi de l'évasion séduit par la manière dont il offre à chacun le droit au plaisir et à la sexualité qui lui sied : mineurs, « seniors » (quel mot horrible pour dire « vieux »), homosexuels, hétérosexuels, laids, beaux, gros, minces... Tout le monde est libre ici de choisir sa sexualité et d'en jouir comme il l'entend. Il y a une vraie générosité dans le regard de Guiraudie qui tranche avec l'hédonisme cynique et bourgeois des frères Larrieu.
Il y a également une volonté de ne pas se laisser enfermer dans un ghetto : il y a une scène étonnante où Armand confie qu'il en a assez des plans dragues homos dans les bois et qu'il peut aussi avoir du désir pour une fille. Constamment, le cinéaste nous rappelle le mystère du sentiment amoureux et de la passion qui outrepasse toutes les limites imposées par la société.
Il le fait avec humour, dans une fable où les trognes les plus invraisemblables (j'aime énormément les séquences « quotidiennes », où Guiraudie renoue avec un certain cinéma du « terroir » à la Pagnol) composent un microcosme à la fois pittoresque et réjouissant.
L'exaltation du plaisir sous toutes ses formes, sans aucune entrave, n'a rien de la propagande pour une sexualité débridée mais relève juste d'un état d'esprit où la liberté individuelle prime avant tout (si il y a bien un domaine où ladite liberté doit être totale, c'est bien la sexualité !) Chez Guiraudie, le plaisir est inséparable du sentiment amoureux et de la tendresse : c'est sans doute d'ailleurs ce qui rend touchante la dernière scène que je vous laisse déguster comme il se doit. Lorsqu'il rencontre Curly, Armand et elle doivent d'abord se connaître, s'habituer l'un à l'autre avant de connaître une véritable harmonie.
Bien sûr, toutes les histoires ne fonctionnent pas toujours et l'individu doit composer avec sa solitude, sa frustration et ses peurs face au vieillissement et aux échecs. Reste alors à jouir de l'instant présent et vivre le plus intensément possible au jour le jour.
Tel pourrait être la morale (immorale ?) de ce joli film flibustier, qui fuit comme la peste tous les préjugés et les idées reçues...