La malédiction (suite)
Je fais finir par croire que je suis maudit : après mon ordinateur qui a rendu l'âme, ce fut au tour du PC familial de tomber en rade et de m'empêcher de composer ma note hebdomadaire. Les choses semblent néanmoins revenir en ordre et il n'est pas impossible que mon blog reprenne sa vitesse de croisière dès la semaine prochaine. En attendant, un petit panorama des films vus ces derniers temps. Ils sont d'ailleurs peu nombreux car l'époque veut que je préfère les terrasses de cafés et les restaurants aux salles obscures et la compagnie des filles à celle de ma télévision (qui pourtant a le mérite de se taire lorsqu'on appuie sur un bouton!).
Ces deux dernières semaines ont été placées, pour le meilleur et pour le pire, sous le signe de la comédie. Le meilleur, c'est bien entendu la poursuite du cycle Harold Lloyd sur Ciné Classic. Le petit frère et A toute vitesse font partie de ces émaux du cinéma burlesque américain dont l'éclat n'est pas prêt de se ternir. Dans le premier de ces films, Harold est le dernier rejeton d'une famille de costauds (un père shérif et deux frères taillés dans la fonte) et se voit condamné aux tâches ménagères plus adaptées à sa carrure d'avorton. Son rêve est d'acquérir la même notoriété que ses aînés. Dans le second, il est également un homme inadapté au monde qui l'entoure et papillonne d'un emploi à un autre jusqu'au jour où il va aider son aïeul à sauver sa ligne de tramway menacée par des requins financiers...Comme toujours, notre héros cherche à trouver sa place dans une société hostile en se faisant d'abord passer pour ce qu'il n'est pas avant de découvrir qu'il a plus intérêt à cultiver sa propre singularité plutôt que de chercher à imiter les autres. Les deux films, très drôles, possèdent des séquences finales d'anthologie. Dans l'un, Harold se livre à une course poursuite avec des bandits pour récupérer un magot sur un bateau; dans l'autre, il s'improvise conducteur d'un tram lancé à tombeau ouvert à travers la ville. C'est très bon!
Le pire, c'est Iznogoud de Patrick Braoudé, spécialiste jusqu'à présent de grotesques "comédies Biba" (Neuf mois, Amours et confusions). Jamais vu une fiente pareille! Une fois de plus, on constatera le mépris pour le public dont font preuve les décideurs qui mettent en branle un pareil chantier. A croire que la comédie ne soit désormais plus concevable sans une "vedette" de la télévision (le sinistre Michael Youn dont le jeu se limite à une succession d'éructations simiesques) et des pauses "musicales" façon clip M6. C'est consternant de laideur et de bêtise!
Moins mauvais mais totalement raté quand même, Au secours, j'ai 30 ans ! de Marie-Anne Chazel avec Pierre Palmade (sans vouloir être désobligeant, difficile de croire que le comique n'est qu'un petit trentenaire!). Passant pour la première fois derrière la caméra, l'actrice tente de mêler la comédie de moeurs (qui se limite ici à des clichés puisés du côté de Bridget Jones et des ridicules séries télé américaines -pléonasme-) et le mélodrame (utilisant le cancer de manière assez putassière pour donner une aura plus "sérieuse" au film). Même si les acteurs s'en sortent plutôt pas mal (excepté le falot Dubosc), la platitude téléfilmique de l'ensemble empêche l'adhésion du spectateur qui, très vite, se met à bailler devant un produit manufacturé oublié dès la fin du générique!
Outre ces comédies, il me reste à vous parler rapidement de deux films étonnants. Le premier, c'est Klimt de Raul Ruiz qui est enfin sorti dans ma ville. Connaissant le cinéaste, nous ne nous attendions pas à un "biopic" classique du peintre. De ce point de vue, nous ne fûmes pas déçu. Comme dans le superbe Le temps retrouvé, Ruiz se livre à une longue fantasmagorie qui a pour point de départ une visite de Schiele à Klimt alors que celui ci est en train d'agoniser. Loin de la reconstitution historique, Klimt est avant tout une méditation sur l'art, sur la fin d'une civilisation (nous sommes à Vienne à la fin de la première guerre mondiale) et sur l'illusion. Comme son compatriote Borges, Ruiz est obsédé par l'illusion et le miroir. Dans son film, chaque personnage possède son double et on ne sait jamais à quel degré de réalité nous sommes. C'est à la fois un peu déconcertant mais aussi totalement fascinant tant la mise en scène est élégante et sophistiquée (Ruiz est sans doute le dernier grand cinéaste baroque). Malgré quelques longueurs, c'est un film à voir.
Mais le plus grand choc de ces derniers temps fut sans conteste la découverte d'un film d'exploitation japonais : elle s'appelait scorpion de Shunya Ito. Je ne connaissais rien de ce cinéaste (si d'ailleurs vous voulez plus de renseignements, je vous renvoie à la très belle note de mon ami Ludo dont on ne louera jamais assez les qualités de son blog) mais dès les premiers plans où retentit une chanson qu'utilisera Tarantino dans Kill Bill (le bougre connaît ses classiques!), on devine qu'on assistera à un spectacle hors du commun. Si l'histoire n'a rien d'exceptionnelle (une terrifiante prisonnière- la fameuse Scorpion- et six autres prisonnières s'échappent de leur geôle et accomplissent leur vengeance), la mise en scène de Ito est d'une richesse et d'une inventivité qui laisse pantois. On perçoit à la fois l'influence du western italien (dans les thèmes comme dans ces gros plans sur les yeux des personnages) et des grands coloristes à la Bava (un mort dans une rivière et c'est toute l'eau de la cascade qui devient rouge sang). Le cadre est toujours surprenant et Ito semble avoir une idée par séquence pour faire exploser les conventions du genre (superbe séquence psalmodiée où la vie des évadées est résumée à la manière du théâtre kabuki). L'actrice minérale et mutique qui interprête le rôle titre est sublime, d'une beauté suffocante. A travers le destin de ces femmes humiliées, bafouées et parfois violées, on peut également lire en filigrane une violente remise en question du système patriarchal soudant la société japonaise. Une pure petite merveille...