Fur : un portrait imaginaire de Diane Arbus (2006) de Steven Shainberg avec Nicole Kidman, Robert Downey Jr.

 

Drôle d’objet filmique que ce Fur pas totalement réussi, parfois passionnant, parfois languissant (le cinéaste aurait certainement gagné à ce que son film dure une demi-heure de moins) mais qui me pousse néanmoins à une certaine indulgence.

Sur le papier, le film peut laisser penser qu’il s’agit d’un énième « biopic » consacré à la célèbre photographe Diane Arbus qui s’est suicidée en 1971 et dont l’œuvre entière fut vouée à l’Amérique des déclassés et autres laissés-pour-compte. Or il n’en est rien. Comme le suggère le sous-titre du film, il s’agit davantage d’un « portrait imaginaire » de l’artiste, une rêverie autour de sa vocation soudaine pour la photo. Steven Shainberg joue d’ailleurs souvent avec les codes du conte de fée : du moment où Diane croise le regard de Lionel jusqu’à la découverte de son identité, le cinéaste n’hésite pas à recourir à des effets qui le font flirter avec le cinéma fantastique. Quand nous découvrons avec la photographe que Lionel est une sorte de « monstre » couvert de poils, le film se change alors en une étrange variation autour du thème de la « belle et la bête » à laquelle Shainberg parvient encore à donner quelques accents inédits.

En ce sens, c’est sans doute cette « patte » du cinéaste qui séduit malgré tout dans Fur. On se souvient effectivement que Shainberg est l’auteur du passionnant La secrétaire et, d’une certaine manière, Fur prolonge l’exploration des fantasmes féminins du film précédent. Il raconte d’ailleurs un peu la même chose : l’histoire d’une femme corsetée, étouffant sous le poids des conventions sociales et de ses désirs refoulés (au tout début du film, on voit Nicole Kidman dégrafer sa robe pour reprendre un souffle qui vient à lui manquer) qui va peu à peu se libérer de ses chaînes. Cette libération va prendre plusieurs formes : libération artistique (Diane, jusqu’alors assistante de son mari, va prendre ses propres clichés) et libération fantasmatique puisque notre héroïne va explorer la face cachée de ses désirs.

Le film joue plutôt bien, dans un premier temps, de l’opposition entre des codes sociaux rigides (Diane est issue d’une famille richissime dont la fortune vient de la fourrure, son mari est un photographe qui ne travaille que pour la mode et des publicités aseptisées) et l’envers de ce décor : le microcosme des « monstres » et autres travestis auquel va s’intéresser Diane.

La manière dont le cinéaste décrit cette émancipation d’une femme est assez fine et rappelle d’ailleurs le parcours de la secrétaire du film éponyme : il s’agit, en effet, d’aller au plus profond du désir féminin et de son ambiguïté. Nous ne sommes plus dans les rapports sado-masochistes qui permettaient à la secrétaire de se révéler dans la soumission mais dans un mélange de fascination/répulsion chez Diane qui relève du même principe d’abandon à l’inconnu. Aux fourrures du père s’oppose la « fourrure » de cet homme ressemblant à une bête qui soumet d’abord la jeune femme à d’étranges rites (la superbe scène du bain que Shainberg traite, pour le coup, comme un véritable conte horrifique). Au cocon rassurant de la famille, Diane préfère soudain l’antre de la « bête » où elle pourra connaître à la fois l’extase et l’effroi.

Je le redis, toute la partie où Diane et Lionel se cherchent, se découvrent est plutôt très réussie et le cinéaste parvient à mettre en place un rituel qui rappelle les rapports du couple de La secrétaire. Le film faiblit un peu quand la belle et la bête deviennent simplement « amis » et que Diane se met à présenter à tout le monde ses « freaks ». Même si nous ne sommes bienheureusement pas dans la chanson mièvre du « vivons tous ensemble malgré nos différences », le film devient un peu plus unanimiste et n’intéresse alors que lorsqu’il se concentre sur l’intimité entre Kidman et Downey Jr. (la scène du rasage, par exemple).

Fur est aussi un beau film sur l’apprentissage d’un regard. La première séquence montre Diane Arbus dans un camp de nudistes et on lui explique qu’une des règles du lieu est de ne jamais poser de regards insistants. Ce que Shainberg filme le mieux (superbement épaulé par une Nicole Kidman magistrale), c’est la manière dont une femme va apprendre à regarder et à poser un regard plein d’empathie sur l’Autre. Toute la mise en scène est construite autour de jeux de regards et amène justement à remettre en question le regard que nous pouvons porter sur Autrui. En ce sens, en s’éloignant de la vraie « biographie » de Diane Arbus, Shainberg parvient malgré tout à saisir quelque chose de son art à travers ce regard.

Au final, le film est sans doute inégal, « malade » pour employer un terme désormais proverbial chez les cinéphiles mais il mérite un petit coup d’œil et prouve que Steven Shainberg est un cinéaste à suivre avec attention…

Retour à l'accueil