Au feu les pompiers (1967) de Milos Forman

 

Après l’as de pique et les amours d’une blonde, Au feu les pompiers est le premier film en couleur de Milos Forman et le dernier qu’il tournera en Tchécoslovaquie où il fut d’ailleurs fort mal accueilli, la dimension satirique de l’œuvre ne passant pas inaperçue auprès des pontes du parti communiste alors au pouvoir.

On se souvient qu’il y a au début des Amours d’une blonde une longue et très belle scène de bal : d’une certaine manière, Milos Forman reprend le principe de cette séquence ici et l’étend à toute la durée du film. Il s’attache moins au destin d’un personnage en particulier qu’à toute une petite communauté qui se retrouve à l’occasion d’un bal des pompiers qui tourne mal…

Rythmé autour de quelques épisodes marquants (la mise en place d’un concours de beauté, l’organisation d’une tombola, un incendie impromptu qui se déclare dans les environs…), le film reprend néanmoins les caractéristiques des films précédents du cinéaste et de ce que l’on a appelé la « nouvelle vague » tchèque : liberté de ton, une certaine désinvolture dans la conduite du récit (on ne peut pas parler de véritable « scénario » mais d’une chronique qui revêt ici les atours de la farce) et une vitalité dans la mise en scène qui exalte toujours, même si c’est de façon moins évidente que dans Les amours d’une blonde, les vertus contestatrices de la jeunesse (voir la manière dont l’élection de la reine de beauté capote et vire au tohu-bohu…).

Moins centré sur un seul personnage que dans ses films précédents, Au feu les pompiers est également le plus « burlesque » des films tchèques du cinéaste : la manière dont les vieux pompiers du comité d’organisation échouent systématiquement dans leurs initiatives permet à Forman de déployer un humour plus ou moins léger, qui va des gags les plus égrillards (le collier qui casse sur la piste de danse et qui permet aux jeunes hommes de jeter des coups d’œil sous les jupes des filles en ramassant les perles) aux observations satiriques les plus acerbes.

Car derrière ses allures de petite comédie de mœurs, Au feu les pompiers est une virulente parabole politique où le cinéaste s’en prend avec une certaine verve au pouvoir communiste en place (n’oublions pas que le film a été tourné un an avant le Printemps de Prague). Ces vieillards incompétents qui tentent d’organiser tant bien que mal leur fête sont évidemment les images d’un parti à bout de souffle dont les velléités de planification parfaite tombent désormais à l’eau.

Séniles, vicieux (voir la manière dont ils lorgnent les candidates du concours de beauté), voleurs : Forman ne fait aucun cadeau à ceux qui tentent de diriger les opérations. Le passage le plus caractéristique du film est sans doute celui de l’incendie qui met à la rue un vieil homme. Pour aider ce pauvre malheureux, le comité lui offre…les billets de tombola du bal. Cela nous vaut d’abord un beau discours où l’officiel peine à retrouver le mot « solidarité » (mais a-t-il déjà eu un sens en régime communiste ?) puis ce moment hilarant où le comité constate que les lots de ladite tombola ont été pillés. En cinq minutes, Forman en montre plus long sur la réalité du communisme que n’importe quel discours militant : l’entraide communiste est un mythe et dans un pays où la misère s’est généralisée (voir le dernier plan du film), c’est la loi du « chacun pour soi » et du pillage qui s’impose (notamment chez les membres du parti : voir ce moment désopilant où l’un des pompiers remet en place le fromage de tête qu’il a volé. Honnêteté qui lui sera reprochée par la suite par le comité : le vol est toléré à condition de ne pas se faire prendre !)

Si cette dimension sarcastique fait le prix de ce film enjoué et piquant, elle en fait aussi parfois la limite. En effet, Forman reste ici dans le registre unique du « jeu de massacre » et il manque à Au feu les pompiers la dimension « humaine » (pardon pour la mièvrerie du terme)  des Amours d’une blonde qui parvenait, au-delà de la satire, à capter le tragique de l’existence pour des individus soumis au joug de ce régime. Ici, l’individu n’existe pas et il est présenté sous son aspect le plus grimaçant et le plus hideux. On sait que Forman a toujours aimé décrire les parcours d’individus emprisonnés (par un régime politique, comme ici, par l’institution psychiatrique –Vol au-dessus d’un nid de coucou- ou le système médiatique –Man on the moon, Larry Flynt-)

Ici, il ne filme plus que les barreaux de la prison mais il n’y a plus personne à l’intérieur…

 

 

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