Mais ne nous délivrez pas du mal (1970) de Joël Séria avec Jeanne Goupil, Catherine Wagener

 

 

 

 

 

Il faudrait établir une catégorie à part entière pour ces cinéastes dont les débuts furent d’abord extrêmement prometteurs et qui s’effondrèrent par la suite. Le premier nom qui me viendrait à l’esprit serait celui de Ken Russell : quels points communs entre des œuvres aussi flamboyantes et lyriques que Love ou Les diables et les navets qu’il ne cessera de tourner à partir des années 80 (le médiocre Gothic, l’épouvantable Au-delà du réel et je suppose que La putain et Le repaire du ver blanc ne doivent pas rehausser le niveau !). Nous pourrions citer également Walerian Borowczyk, passant des excellents Contes immoraux et la bête au tout-venant de l’érotisme vulgaire (Emmanuelle 5 , ses épisodes pour la défunte Série rose…) , Bertolucci (comment se souvenir du grand cinéaste du Dernier tango à Paris et de Prima della rivolutione en voyant ces bouses que sont Beauté volée ou Little Buddha ?)  voire Wim Wenders (pour ce dernier, j’anticipe peut-être un peu n’ayant pas vu tous ses derniers films. Mais j’avoue que son nullissime The million dollar hotel m’est resté en travers de la gorge !).

Joël Séria, cinéaste malheureusement oublié, entrerait merveilleusement dans cette catégorie. Car si ses derniers films sont assez consternants (les deux crocodiles, San Antonio ne pense qu’à ça), les premiers sont attachants et singuliers. Le plus célèbre est, bien entendu, Les galettes de Pont-Aven, comédie truculente et rabelaisienne qu’on revoit toujours avec autant de plaisir. Mais il y eut également l’excellent Charlie et ses deux nénettes qui valut au cinéaste d’être rattaché à ce mouvement fictif que lança Télérama : le « nouveau naturel » et cette première œuvre sulfureuse, Mais ne nous délivrez pas du mal, que j’ai découverte hier soir.

 

Anne, la brune (Jeanne Goupil) et Lore, la blonde (Catherine Wagener) sont deux jeunes pensionnaires d’une institution religieuse. Amies inséparables, elles décident de se consacrer désormais entièrement au Mal. Elles confessent des péchés imaginaires, volent des hosties et montent des cérémonies profanes, tuent des oiseaux (*), provoquent des garçons de ferme et iront jusqu’à tuer un automobiliste…

Le résultat est assez détonnant et prouve une fois de plus que les années 70 furent celles de toutes les audaces. Un tel film serait difficilement concevable aujourd’hui tant il va à l’encontre de toutes les conventions (je pensais même qu’il serait inimaginable car j’étais persuadé que les actrices avaient vraiment 14-15 ans. Or il s’avère après vérification qu’elles avaient 19-20 ans : la morale est sauve mais elles font vraiment très, très jeunes !)

Joël Séria fait d’abord preuve d’un anticléricalisme un peu primaire (curés rougeauds qui parlent avec concupiscence de la luxure et se régalent des péchés des petites adolescentes, sœurs qui se livrent à des papouilles dans l’intimité de leurs chambre…) mais finalement assez roboratif en cette période de « politiquement correct ». Nos jolies donzelles foulent au pied tous les interdits religieux et méprisent avec panache toutes les hypocrisies bourgeoises. Il faut les entendre lire Baudelaire ou les chants de Maldoror de Lautréamont (de saines lectures hautement recommandables à toutes les jeunes filles !) pour comprendre leur volonté de transgression.

 

 

 

 

 

Résumé comme ça, le film peut paraître provocateur et sulfureux (c’est du moins l’image que je m’en faisais). C’est le cas mais il est paradoxalement assez solaire et « naturel ». Ces deux ados rigolardes qui montrent leurs culottes au bouseux du coin ont l’air de sales gamines qui font des blagues (même lorsqu’il s’agit de foutre le feu à des meules de foin !) plutôt que de pétroleuses révoltées. C’est ce qui fait la curiosité du film qui oscille entre un naturel à la Pascal Thomas (les jeunes filles en fleurs faisant du vélo à la campagne pendant leurs vacances d’été), un érotisme trouble à la Catherine Breillat (en s’intéressant aux désirs naissants de ces jeunes filles, Séria fait parfois songer à ce film extraordinaire que sera Une vraie jeune fille) et des visions à la Jean Rollin (c’est au maître que j’ai pensé lorsque Anne et Lore se retrouvent nue sous leur chemise de nuit en train de célébrer une messe noire. Le plan de ces deux nénettes en bateau sur un étang la nuit est très beau).

 

 

 

 

 

Voilà donc un film étrange, dégageant un parfum capiteux auquel le charme des deux actrices n’est pas étranger. Jeanne Goupil fera par la suite l’essentiel de sa carrière chez Séria tandis qu’après avoir tourné quelques salingueries soft avec Max Pécas ou Jean Desvilles (alias Georges Fleury), la craquante Catherine Wagener disparaîtra complètement de la circulation (n’hésitez pas à me donner des renseignements sur l’actrice si vous en connaissez. Catherine, si vous passez par-là, je vous aime !) Leur naturel fait ici merveille et Mais ne nous délivrez pas du mal nous fait une fois de plus regretter que Séria ne soit plus en mesure de tourner (je crois qu’après les deux crocodiles, il s’est reconverti à la télévision).

Une curiosité à ne pas manquer pour ceux qui ont le câble…

 

(*) Anne, pose alanguie et provocante, martyrise également un chat lors d'un plan qui rappelle furieusement la peinture de Balthus. L'ombre tutélaire du peintre semble d'ailleurs planer sur ce film qui allie avec un vrai talent l'innocence et la perversion... 

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