Le deuxième souffle (1966) de Jean-Pierre Melville avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Michel Constantin

 

A la question « citez votre film favori qui soit à la fois un film de genre et une déconstruction ou un hommage à ce même genre », beaucoup (y compris votre serviteur) ont cité un film de Tarantino et certains internautes (qui n’avaient d’ailleurs pas totalement tort) se sont émus de constater que personne n’avait cité le nom de Melville. A ma décharge, je dirais que je n’avais jusqu’à présent jamais vu Le deuxième souffle et que des chefs-d’œuvre comme Le samouraï, le cercle rouge ou, a fortiori, l’étonnant Un flic me paraissent déjà être des films qui outrepassent le cadre du genre « policier ». Mais en découvrant Le deuxième souffle, je me suis dis que ce titre pouvait parfaitement répondre aux critères de la question.

Le film est, au premier abord, un parfait film de genre qui a le mérite de faire une synthèse assez inédite entre le polar à l’américaine (l’univers des truands, un fatalisme qui évoque certaines œuvres de Huston…) et le policier français (un casting qui pourrait être celui d’un film de Lautner, des dialogues rehaussés d’un argot assez typique du genre…). Signé José Giovanni, le scénario du film est solidement charpenté et se présente comme une œuvre de genre somme toute assez classique avec ses allers et venus incessants entre Paris et Marseille, ses règlements de comptes entre truands et la préparation du « casse » du siècle.

Mais il suffit de voir la superbe séquence d’ouverture (l’évasion de Gu –Lino Ventura- et de ses deux complices) pour comprendre que Le deuxième souffle est déjà autre chose qu’un simple film de genre. Melville commence à jouer la carte de l’épure qui culminera dans les films (presque abstraits) que j’ai cités plus haut. Sa mise en scène se rapproche ici du cinéma de Bresson : décor raréfié et dépouillé à l’extrême (quelques pans de murs), « géométrisation » des plans, raréfaction de la parole (aucun mot n’est prononcé durant cette évasion)… Même s’il continue d’emprunter les chemins balisés du cinéma de genre, Melville commence son travail de sape des codes du genre qui rappelle, même si c’est de manière assez différente, le travail similaire effectué par un Sergio Leone à la même époque sur les codes du western. Plusieurs fois, on retrouvera des séquences assez caractéristiques de cette volonté du cinéaste de dépouiller sa mise en scène pour toucher à une certaine abstraction : la magnifique séquence de l’attaque du fourgon blindé sur une route déserte au milieu de nulle part, les terrains vagues où se retrouvent les truands…

Comme chez Leone, il y a chez Melville la conscience qu’une page est en train de se tourner et que les temps sont en train de changer. Le deuxième souffle, c’est finalement l’histoire d’un type « à l’ancienne » (Lino Ventura tient là un de ses meilleurs rôles) à qui l’on offre la possibilité d’effectuer un « dernier tour de piste » dans un monde qui n’a plus rien à voir avec celui qu’il a connu. Et pour Melville, il s’agit de jouer une « dernière » fois avec les codes du genre tout en les mettant à nu.

Il y a beaucoup de mélancolie dans ce film noir dans la mesure où se dessine en filigrane l’idée que tout cela est en train de disparaître. Ce qui caractérise Gu, c’est bien évidemment son sens de l’honneur et de l’amitié. En face de lui, l’inspecteur Blot (excellent Paul Meurisse) ne joue pas du même côté mais il accepte les règles du jeu et respecte son adversaire (voir le magnifique « coup de pouce » final qu’il lui accordera). Pour Melville, il ne s’agit pas de peindre un univers régit par des lois morales et par la traditionnelle division entre le Bien et le Mal (il laisse ça aux bigots de toutes les chapelles, qui ne sont malheureusement pas que religieuses, loin s’en faut ! Ce sont eux qui ont emporté la partie aujourd’hui) mais un univers régit par des règles (la Règle contre la Loi). Tous les personnages savent qu’ils jouent un jeu dangereux mais ils acceptent les règles de ce jeu. Et dans cet univers, le pire crime est la trahison et la déloyauté. Lorsque Gu est accusé d’avoir donné ses camarades, il ne peut pas imaginer pire outrage à son honneur et il règlera l’histoire dans le sang.

Mais Gu est un homme vieillissant et ceux qui viennent après lui ne partagent pas ses scrupules : le règne du « chacun selon ses intérêts » est en train de devenir de mise, quitte à pactiser avec « l’ennemi ». 30 ans plus tard, Scorsese fera à peu près le même constat dans Casino en montrant qu’au sens de l’honneur des truands d’antan s’est substitué la vulgarité marchande et clinquante du « chacun pour sa pomme ».

Le deuxième souffle est sans doute une étape importante dans l’évolution du cinéma de Melville vers un « maniérisme » de plus en plus formaliste (même si au baroque d’un Argento ou De Palma, il préfèrera toujours l’épure). Formalisme qui saura pourtant toujours trouver un équilibre subtil entre une véritable abstraction et une émotion jamais oubliée, une mélancolie toujours capable de vous serre la gorge…

 

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