Kill Bill, volume 2 (2004) de Quentin Tarantino avec Uma Thurman, David Carradine, Darryl Hannah, Michael Madsen, Gordon Liu

 

 

 

Nous avions laissé notre mariée (voir ici) alors qu’elle venait d’en finir spectaculairement avec la sino-américaine O-Ren Ishii (Lucy Liu) et que Bill nous apprenait que sa fille n’était pas morte non plus dans la fusillade d’El Paso. M’étant offert les deux films en DVD, je me suis une fois de plus régalé en revoyant le premier volume et j’ai enchaîné sur la deuxième partie que je n’avais pas revue depuis sa sortie en salles.

C’est peu dire que Tarantino fait une fois de plus subir toutes les avanies imaginables à son héroïne (la sublime Uma Thurman, toujours aussi excellente pour tempérer sa froide détermination de vengeance par une sensibilité à fleur de peau). Après avoir reçu une balle dans la tête l’ayant laissé quatre ans dans le coma, des coups de couteau et de sabre ; elle se prend cette fois du gros sel dans la poitrine et se retrouve enterrée vivante ! Mais rien ne viendra à bout de son désir d’accomplir sa mission vengeresse…

 

 

Comparé au premier tome, ce deuxième opus se révèle beaucoup plus apaisé. On notera certes quelques scènes « gore » pas piquées des hannetons (une énucléation que n’aurait pas reniée Lucio Fulci, cinéaste cité au générique de fin en remerciement) mais l’ensemble est beaucoup plus calme et moins violent. Une fois de plus, Tarantino se livre à une enthousiasmante relecture du cinéma de genre mais lorgne cette fois ci beaucoup plus du côté du western italien (l’ombre de Léone, via notamment la musique d’Ennio Morricone, est omniprésente) et du film de kung-fu classique (lorsque notre héroïne est initiée aux arts martiaux par Gordon Liu, Tarantino cite directement le cinéma de Liu Chia-Liang et la 36ème chambre de shaolin). 

Outre ce sens époustouflant de la narration que possède Tarantino, ce deuxième volet confirme également son génie de la stylisation qui rehausse chaque séquence. Que ce soit lors de la séquence des préparatifs du mariage, magnifiée par un noir et blanc léché ou encore ce fameux mouvement d’initiation au temple shaolin, filmé dans le style des années 70 avec force zooms et une photo très contrastée ; Tarantino jongle d’un style à un autre sans pour autant mettre à mal l’unité de son projet.

Kill Bill reste, pour l’heure, une des plus parfaites réussites de ce qu’on pourrait nommer un brin pompeusement le cinéma « post-maniériste ».

 

 

Je m’explique. A la fin des années 60 et au cours des années 70 ; les cinéastes se rendent compte que le classicisme hollywoodien est bel et bien mort et que ce qui fut le cinéma de genre va vite trouver refuge à la télévision. Prenant acte de ce décès, certains d’entre eux vont néanmoins offrir un dernier tour de piste aux grands genres classiques en proposant une relecture formaliste desdits genres. C’est ce qu’on appellera le « maniérisme », qu’il s’applique aux westerns de Léone ou Peckinpah, aux polars de De Palma ou Polanski (période Chinatown)  ou au cinéma fantastique de Dario Argento et Mario Bava.

Cinéphile nourri par la télévision et les cassettes vidéos, Tarantino arrive après ces gens-là. Comment faire pour concilier alors son amour du cinéma de genre et ne pas répéter ce qu’on fait ses aînés ? Dans un premier temps, le cinéaste va utiliser ses références uniquement comme signes de reconnaissance et pratiquer un cinéma « pop » dénué de véritables enjeux. D’où mes quelques réticences face à Réservoir dogs et Pulp fiction, films brillants mais trop malins pour être honnêtes ; n’osant pas affronter leurs références autrement que par l’exercice de style. Avec Kill Bill, les références sont à la fois assumées (les grands « maniéristes » comme De Palma et Léone sont d’ailleurs cités) mais également totalement assimilées. Elles se fondent dans un récit jubilatoire où le formalisme ne prend pas le dessus sur les personnages.

 

 

Alors, bien entendu, il faut accepter les conventions du genre (Uma Thurman qui, tel un mort-vivant à la Fulci, parvient à sortir de sa tombe) et les personnages stéréotypés (la salope intégrale qu’interprète divinement l’explosive Darry Hannah). Mais jamais le cinéaste n’adopte une attitude surplombante pour s’attirer la connivence du spectateur ou ironiser sur lesdites conventions. En trois mots, il y croit et c’est cette croyance qui fait le prix du projet et le rend parfois même très émouvant, à l’image du dernier mouvement de ce deuxième film.

Paradoxalement, c’est le moment où Tarantino se livre aux procédés qui l’ont rendu célèbre : dilatation du temps, longues plages dialoguées et digressions drolatiques (l’exégèse du mythe du « super-héros » à laquelle se livre Bill)… Sauf qu’il n’y a plus ici d’ironie et qu’il s’agit finalement de faire accoucher aux personnages leur vérité (Uma a symptomatiquement reçue une seringue pleine de sérum de vérité dans la jambe).

C’est dans ce contexte qu’intervient la mort programmée de Bill et Tarantino n’a plus besoin, à ce moment, de faire de grandes démonstrations de virtuosité. La scène est très belle et filmée très simplement, comme une évidence.

 

 

Plaisir de mise en scène, plaisir de narration (la manière dont est construit le récit est remarquable) : les deux Kill Bill sont, à mon avis, les meilleurs films de Tarantino, cinéaste qui ne cesse de progresser (Jackie Brown était déjà meilleur que les deux précédents) et qui, on l’espère, à encore de quoi nous surprendre et nous réjouir…
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