Sur les ruines des illusions
La messe est finie (1985) de et avec Nanni Moretti
Si Nanni Moretti tient (bien entendu) le premier rôle dans La messe est finie, il abandonne le personnage de Michele Apicella qu’il incarnait dans ses premiers films pour endosser la soutane du prêtre Don Giulio. Nommé dans une paroisse de la banlieue de Rome, notre homme d’église quitte le sud de l’Italie où il a officié pendant des années et se retrouve nez à nez avec la cruelle réalité de son époque.
On sait gré à Nanni Moretti d’avoir toujours su parler de l’évolution de la société italienne, de ses mutations et de ses désillusions sans pour autant avoir recours au pensum de « gauche » à la Rosi/Petri. Dans La messe est finie, il est une fois de plus question de ce que qu’a toujours filmé le cinéaste : l’émiettement des utopies collectives, la place de l’individu face au groupe (son premier film ne s’appelait pas pour rien Je suis un autarcique), la ruine des illusions…
En arrivant à Rome, Giulio réalise que tout ce en quoi il croit est en train de disparaître : son père quitte la demeure familiale pour une petite jeunette, sa sœur est enceinte et veut avorter, le prêtre qui l’a précédé a quitté l’habit pour se marier et faire un enfant…Alors que sa parole semblait encore peser un peu dans le sud de l’Italie, elle est désormais sans effet.
Moretti incarne un prêtre mais il dépasse néanmoins, à mon sens, le problème strictement « religieux » que l’on peut supposer à la lecture d’un tel résumé. Même si le cinéaste pointe sans doute la perte de l’influence de l’Eglise sur la société italienne, il va au-delà de ce constat pour montrer la disparition de tout idéal collectif à l’heure où triomphe le consumérisme et l’ « individualisme » (je mets ce mot entre guillemets car j’en ai assez d’entendre les sociologues et autres théoriciens l’employer à tort et à travers alors que je ne vois pas d’ « individualisme » dans nos sociétés : l’égoïsme du « chacun pour soi », sans doute, mais également le plus navrant des conformismes moutonniers où l’ « individu » ne me semble pas avoir sa place. Mais bon, ce n’est pas l’objet de cette note !)
Il y a un très beau moment où Giulio reste derrière la fenêtre du prêtre défroqué qu’il a remplacé. Celui-ci l’invite à partager le repas familial mais Giulio refuse et demande juste la permission de contempler le tableau idyllique d’un simple bonheur familial. Tout le cinéma de Moretti est peut-être dans cette scène. Voir les gens heureux, mais à quel prix ? Qu’il s’agisse de l’enseignement religieux ou des illusions idéologiques (Giulio a participé dans sa jeunesse à un journal d’extrême gauche et l’un de ses anciens compagnons est jugé pour terrorisme), Moretti s’interroge sur la possibilité de faire le « bonheur » des gens malgré eux.
Il y a quelque chose de presque effrayant dans ce personnage de prêtre qui cherche à imposer sa vision du monde aux autres, quitte à devenir violent. En arrivant à Rome, Giulio commence par subir la violence du monde (voir la scène où il se fait « baptiser » dans une fontaine publique par des types lui ayant pris sa place de stationnement) avant de tenter d’inculquer ses principes par la « force » (voir la manière dont il se dispute avec sa sœur).
La messe est finie devient alors une fable grinçante où ce personnage qui prêche dans le désert devient le révélateur d’une société qui ne croit plus en rien. Le film est d’ailleurs si grinçant que je l’ai trouvé parfois, et c’est ma petite réserve, un peu aigre. Moretti ne s’est jamais présenté comme un « saint » dans ses propres films mais là, il incarne sans doute son personnage le plus antipathique et on a parfois un peu de peine à saisir son propos : est-il dans la pure satire ou adhère t-il à certaines opinions de Giulio ?
Reste cette capacité du cinéaste à porter sur ses propres épaules (ce n’est sans doute pas un hasard si, lors de la séquence qui ouvre le film, Moretti se jette littéralement à l’eau) toutes les contradictions de la société italienne et d’en dresser un tableau à la fois lucide, douloureux et sobre. La messe est finie est dépouillé de tout effet, se contentant de construire une mise en scène autour d’un point de vue que l’on peut supposer étranger –a priori- à Moretti (le gauchiste qui se change en prêtre, ce n’est pas banal : mais n’y a-t-il pas toujours eu un côté « curé » chez les gauchistes pratiquants ?). Néanmoins, le temps d’un très beau plan-séquence où la caméra s’élève pour saisir le personnage de Giulio qui a grimpé d’un étage pour retrouver sa sœur avant que celle-ci ne l’abandonne devant une porte close, Moretti prouve aussi qu’il sait filmer de manière plus « voyante ». Qu’on se le dise, Nanni Moretti est un grand cinéaste et même si La messe est finie n’est pas son œuvre que je préfère, elle mérite, selon la formule consacrée, le coup d’œil…