Orlof et les classiques (VIII)
Le fanfaron (1962) de Dino Risi avec Vittorio Gassman, Jean-Louis Trintignant
LE MAITRE. Que me vaut cet air enjoué et ces yeux pétillants que vous arborez fièrement ?
LE PREMIER DISCIPLE. C’est une fronde, maître ! Nous voudrions délaisser pour aujourd’hui les sujets sérieux que nous abordons généralement…
LE DEUXIEME DISCIPLE. …Et nous souhaiterions que vous nous parliez de la comédie.
LE MAITRE. Très bien ! Vous me voyez ravi d’aborder ce noble genre. Mais de quelle comédie voulez-vous parler ? Le burlesque américain ? La "screwball comedy " ? La comédie de remariage ? …
LE DEUXIEME DISCIPLE. En fait, c’est de la comédie italienne que nous aimerions vous entretenir…
LE MAITRE. Parfait ! Cela tombe bien car, mis à part l’Amérique, l’Italie est peut-être le seul pays qui ait développé un véritable cinéma de genre dont la comédie fait partie…
LE PREMIER DISCIPLE. Vous voulez dire qu’il n’y a pas de comédie en France ?
LE MAITRE. En tant que genre, non ! Il existe bien entendu des films comiques mais la plupart relèvent du théâtre plus que d’un genre cinématographique à part entière. Je mets bien entendu à part certaines individualités comme Tati dont l’œuvre est trop personnelle pour être assimilée au genre…
LE DEUXIEME DISCIPLE. Et en Angleterre ?
LE MAITRE. Comme pour le terme "gastronomie ", associer le mot "cinéma " à celui d’Angleterre " est une hérésie !
(Les trois s’esclaffent…)
LE MAITRE. Plus sérieusement, on peut parler d’un "humour anglais " (plutôt absurde et noir) mais je n’arrive pas à englober ce type de films dans un genre à part entière comme on peut le faire en Amérique ou en Italie.
LE PREMIER DISCIPLE. Quelles sont les caractéristiques de la comédie à l’italienne ?
LE MAITRE. Ses principales caractéristiques sont de s’inscrire fortement dans la réalité sociale du pays et d’être extrêmement satirique voire méchante. Prenez ce Fanfaron dont vous voulez me parler : la virée en voiture qu’effectuent nos deux héros (le bellâtre hâbleur interprété par Gassman et le faire-valoir timide joué par Trintignant) est prétexte à un tableau en coupe de la société italienne de ce début des années 60. Risi et son scénariste Scola égratignent tout ce qui passe à leur portée : les curés, la jeunesse, l’intellectualisme (un coup de griffe portée à Antonioni), les ploucs…
LES DISCIPLES. Nous avons trouvé tout cela assez drôle mais vous n’avez pas l’air convaincu…
LE MAITRE. J’avoue que ce cinéma n’est pas du tout ma tasse de thé même si je reconnais volontiers ses qualités (du moins, pour l’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui parce que Risi, Scola, Monicelli et les autres ont également réalisé de très mauvais films). Je trouve que le genre se limite à de l’épinglage, offrant au spectateur un point de vue surplombant qui est celui du fanfaron. Quand Bruno et Roberto ralentissent et se moquent des gens qui dansent à une fête populaire (vise la grosse à lunette ou le bouseux avec sa chemise à carreaux !), je trouve la scène assez déplaisante. Car Risi offre au spectateur une position confortable (rions ensemble des cons) sans remettre en question cette position (chez Yanne ou Mocky, le spectateur n’est pas ménagé de la sorte et leurs films sont bien plus subversifs)…
LE PREMIER DISCIPLE. Mais c’est une position d’observateur satiriste…
LE MAITRE. Il y a plusieurs manière de réaliser une satire. Ce que je n’aime pas, c’est que l’on m’offre ici le seul point de vue du gros beauf braillard (c’est ce qu’est le personnage que joue Gassman) bavant sur la culture, l’intelligence, la beauté et qui ne pense qu’à sa bagnole de sport et à draguer…
LE DEUXIEME DISCIPLE. Vous ne pensez pas que Risi se moque également de ce personnage ? Qu’il fait exprès de forcer le trait pour en faire un ringard ?
LE MAITRE. A vrai dire, non ! Il rit parfois de ses excès mais j’ai l’impression qu’il cautionne son discours.
LE PREMIER DISCIPLE. Vous détestez donc ce film ?
LE MAITRE. Non ! Non ! il se regarde sans déplaisir. D’une part parce que la mise en scène de Risi est rythmée et qu’elle restitue assez bien l’ambiance (du moins, telle que je l’imagine !) de la société italienne en ce début des années 60 (le twist, les bikinis, le farniente…) ; d’autre part, parce qu’il est superbement interprété. Gassman est un cabotin génial et Trintignant est parfait dans le rôle de l’étudiant réservé qui va se décoincer au contact de son compagnon. Mais je le redis, ce genre de film n’est décidément pas ma tasse de thé…
A suivre…