Le doux amour des hommes (2001) de Jean-Paul Civeyrac avec Renaud Bécard, Claire Perot, Serge Bozon

 

 

 

Nous avions laissé Civeyrac sur un premier film où il nimbait ses images d’une réalité sociale très dure de musiques sacrées pour le retrouver quelques films plus tard sur des chemins beaucoup plus personnels et radicaux. A partir des Solitaires, le cinéaste s’est en effet tourné vers un cinéma intimiste, hanté par la disparition et le deuil, entièrement axé sur des individus et leurs sentiments. Le doux amour des hommes se déroule dans un milieu mal défini, celui de la bohême parisienne composée d’artistes plus ou moins débutants (Raoul, le personnage principal, a déjà publié un recueil de poèmes) et d’étudiants attardés. Civeyrac semble vouloir capter cet univers superficiel des cafés et de chambres estudiantines sous les toits comme le firent en leurs temps Eustache (la maman et la putain) ou Godard (lorsque Raoul aborde une femme travaillant dans l’édition afin de lui présenter un projet de revue, on se rappelle d’Anna Karina croisant par hasard Brice Parain à une table de café dans Vivre sa vie).

 

 

 

Raoul est donc un de ces hommes « sans qualité » qui hante ce milieu, profitant de sa jolie petite gueule et de son don littéraire pour coucher avec une fille différente chaque nuit. Pourtant, un vide semble s’immiscer dans cette vie si facile et notre Don Juan s’interroge sur sa capacité à aimer, surtout au moment où il recroise son premier amour et se rend compte que cette rencontre ne lui fait aucun effet. C’est alors qu’il va croiser Jeanne, jeune femme insaisissable, dont il va tomber amoureux alors que celle-ci ne va cesser de se dérober…

 

 

 

Le film n’est pas sans défauts. Primo, le milieu décrit par Civeyrac est inintéressant au possible et il n’évite pas un petit côté « parisien branchouille » un peu agaçant (avec Serge Bozon acteur comme caution « tendance » !). Par moment, on se dit que le film ne s’adresse qu’aux rédacteurs des Inrockuptibles.

Deusio, je dois vous confesser que j’ai du mal à être touché par les états d’âme d’un type qui couche avec 25 filles par mois et qui pleurniche sur son incapacité à aimer. C’est un peu comme entendre un yankee gavé de Mc Do et de coca se plaindre de ses problèmes de digestion alors que la moitié de la planète crève de faim !

 

 

 

Ces réserves faites, le film s’avère assez intéressant. Civeyrac a un talent indéniable de cinéaste. Visiblement tourné en numérique, le film est néanmoins formidablement cadré et la photo est très belle. Mieux que quiconque il arrive à capter la lumière qui se dégage d’un visage, d’un corps (les scènes de nus ou les gros plans sont très, très beaux). On pense parfois à Garrel (ce n’est pas un mince compliment !) dans cette manière de capturer les acteurs au réveil et au sortir du lit, comme s’ils étaient seuls au monde et filmés pour la première fois.

Lorsqu’il s’accuse d’être superficiel, une des petites amies d’un soir de Raoul lui rétorque qu’il ne l’est pas ; qu’il est seulement léger et libre, à mille lieues de toutes les contraintes du couple et de l’amour domestiqué. La réussite du film tient peut-être dans cette nuance. Le doux amour des hommes n’est pas un film superficiel mais un film léger qui montre de façon assez juste l’état des relations hommes/femmes en cette aube du nouveau millénaire.

Entre l’hédonisme consumériste érigé en règle et le spleen d’un idéal enfui (l’Amour avec un grand A des romantiques), les personnages naviguent dans les eaux glacées de l’égoïsme le plus total. Derrière cette euphorie des coucheries incessantes se dessine une grande solitude et l’incapacité qu’ont tous ces gens à voir en autrui autre chose qu’un pur objet de jouissance. 

Même les évènements les plus marquants dans une relation (le premier amour, le deuil d’un être aimé…) semble glisser sur la carapace de Raoul sans l’atteindre. De la souffrance, il fait un objet littéraire et ramène une fois de plus tout à sa petite personne.

 

 

 

Ce personnage est à la fois très antipathique (en ce qui me concerne !) mais il finit quand même par être émouvant car il n’est finalement rien d’autre qu’une silhouette de son temps. Celle d’une époque qui sous couvert d’individualisme (je ne vous rechanterai pas mon petit couplet sur la différence entre l’idéal individualiste du libertaire et l’égoïsme total du libéral !) nie l’altérité pour ne se consacrer qu’à son petit profit égoïste et au néant de sa petite personne…

 

 

 

 

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