Bela Lugosi face aux ringards
Ghosts on the loose (1943) de William Beaudine avec les East Side Kids (Leo Gorcey, Huntz Hall, Bobby Jordan...), Bela Lugosi, Ava Gardner
Retour à notre bonne série Z bien-aimée avec le sieur « One-shot Beaudine »1 (ou « one-take ») ; surnommé ainsi pour sa propension à se satisfaire d’une prise unique, même ratée ! (Vous êtes marrants ! On ne peut pas à la fois réaliser plus de 200 films et fignoler les détails !). Cette petite merveille exhumée par Bach films (collection « Prestige » (sic), prix conseillé : deux euros) n’est pas, contrairement à ce que pourrait laisser croire la jaquette trompeuse du DVD, un film fantastique mais une comédie ayant pour vedette un des plus effarants « team comique » ringard de l’histoire du cinéma : Les East Side Kids. Pour Jean-Pierre Bouyxou, « les gugusseries des East Side Kids sont de ringardissimes nullités comptant parmi ce qu’Hollywood a produit de plus pingre et de plus salopé en matière de série Z ». Le genre de petite phrase qui ne peut qu’attirer les cinéphiles déviants de mon espèce !
Petit flash-back. En 1937, William Wyler réalise Dead End, un polar où un gangster (H.Bogart) subjugue une bande d’ados. Ce groupe de jeunes, désormais baptisé les Dead End Kids va se retrouver dans cinq films, dont le ton s’oriente de plus en plus vers la comédie, pour la Warner. Puis, de 1939 à 1943, l’Universal recueille le team pour une série de onze films2. C’est également à cette époque que nos gugusses qui composent les deux groupes (les Dead End Kids et les Little Though guys, vous suivez ?) se fondent en East Side Kids et vont tourner 21 films pour la modeste firme Monogram sous la houlette du redoutable Sam Katzman.
William Beaudine dirigera six des films de l’équipe et la suivra par la suite quand elle changera de nom et deviendra les Bowery Boys (les acteurs ayant passé depuis longtemps l’âge de bénéficier du sobriquet de « kids »). Sur les 48 films (!) tournés par nos hurluberlus de 1945 à 1958, notre cinéaste en réalisera 25 !
De quoi est-il question dans ce Ghost on the loose ? Du mariage d’un couple de jeunes tourtereaux (la jeune mariée est interprétée par la sublime Ava Gardner dans l’un de ses tous premiers rôles. Elle n’avait alors qu’une vingtaine d’années), de leur future maison jouxtant une maison « hantée » (c’est ce que prétendent des types patibulaires qui refusent que le couple vienne s’installer à proximité d’eux) et d’une bande de joyeux drilles maladroits qui va tenter de percer le mystère de cette maison où officie un inquiétant (mais impérial !) Bela Lugosi (qui n’a pas attendu Ed Wood pour se compromettre dans d’invraisemblables nanars !).
Le mot ringard est trop faible pour définir cette oeuvrette qui dure à peine plus d’une heure. Le « comique » des East Side Kids atteignant des sommets de bêtise où peu on réussit à s’aventurer. Un des gags récurrents consiste pour ces jeunes gens à se tomber dessus en paquet de douze tel des footballeurs en rut lorsqu’ils ont poussé la baballe au fond des filets ! C’est mince ! Quant au jeu des acteurs, il est terrifiant. C’est un festival de grimaces ineptes où excelle seulement Sammy Morrison à qui échoit la terrible tâche d’être le petit nègre rigolo du groupe. C’est le seul qui m’ait fait sourire. Léo Gorcey, dans le rôle du leader hâbleur mais veule, est assez antipathique et Huntz Hall, dans celui du grand dadais gaffeur, est trop cabotin pour convaincre.
A la décharge de la bande, nous avouerons que William Beaudine fait pâle figure lorsqu’il s’agit de les soutenir par un semblant de mise en scène. Le manque de moyens est criant à chaque plan (où le point n’est pas toujours fait) : les décors sont totalement étriqués, les éclairages foireux (certains plans plus obscurs sont quasiment illisibles), la réalisation est rudimentaire (beaucoup de plans fixes, peu de mouvements dans le cadre…). C’est de la discipline spartiate, ma bonne dame ! A côté, les Straub sont des cinéastes baroques !
Mais finalement, le côté aberrant de l’entreprise finit par faire sourire d’autant qu’on prend plaisir à voir ces grands acteurs que furent Lugosi et Gardner se dépatouiller dans cette galère. On regarde le film un peu estomaqué mais on savoure cette curiosité venue de nulle part, bricolée à la diable par un modeste artisan ayant tâté de tous les genres (du cinéma burlesque avec WC.Fields aux films fantastiques bourrés de maisons hantées et de fantômes menaçants, yeah !).
Amateurs de curiosités en tout genre, précipitez-vous sur les bacs de DVD bradés, vous tomberez certainement sur cette pépite d’une irrésistible nullité...
2 Je simplifie à l’extrême car l’histoire de ces bandes est très emmêlée, certains des acteurs des « Dead End Kids » ayant été engagés pour former, avec d’autres acteurs, les « Little Tough guy » à la même période. Pour plus de renseignements, je vous renvoie au splendide dossier qu’avait consacré Jean-Pierre Bouyxou aux « teams comiques oubliés » dans les numéros 419, 420, 421, 422 et 423 de La revue du cinéma (de Septembre 1986 à Janvier 1987). Les renseignements que je vous offre sont tirés de ce dossier qui fait autorité. Est-ce qu’un éditeur clairvoyant aura un jour l’intelligence de rééditer les textes de l’indispensable Bouyxou ?