36 princesse !
La belle endormie (2010) de Catherine Breillat avec Julia Artamonov
Catherine Breillat semble s’être reconvertie dans l’adaptation de contes de fées. Après un Barbe Bleue bien accueilli par la presse, elle récidive aujourd’hui en adaptant La belle au bois dormant de Charles Perrault. Le film débute comme le conte et nous voyons la fée Carabosse lancer un sort contre la petite Anastasia qui tombera, effectivement, dans un sommeil de cent ans.
C’est là que la cinéaste s’éloigne du conte originel pour nous plonger dans les rêves de l’enfant. Une grande partie du métrage sera consacrée à ce voyage onirique où la jeune héroïne rencontrera un colosse plein de furoncles, une famille d’accueil et un « grand frère » aux airs de prince charmant, un nain chef de gare et une princesse albinos avant de faire un petit bout de chemin avec une amie gitane…
Au risque d’enfoncer le clou, je dois avouer que de découvrir ce film quelques temps après l’époustouflant Valérie au pays des merveilles me l’a fait paraître un peu fade et terne. Malgré quelques très beaux plans, Catherine Breillat ne parvient pas à insuffler une vraie folie onirique à ce conte trop sage (le traîneau de la Reine des neiges est trop visiblement à l’arrêt pour nous entraîner dans un autre monde, dirons-nous un peu cruellement) et un brin affecté.
Elle est également desservie par une interprétation que je trouve globalement médiocre. Tous les enfants du film jouent faux. Entendons-nous bien : j’aime beaucoup certains films où les acteurs jouent « faux » (Rohmer, Bresson, Rollin, etc.), mais cette « fausseté » est avant tout une manière de styliser la réalité. Ici, ça n’est jamais le cas et Breillat hésite sans arrêt entre un texte ultra littéraire et une volonté de « moderniser » l’action de son conte. D’où des dialogues où la fillette peut dire dans la foulée une phrase comme « C’est trop beau » avant d’enchaîner sur des minauderies langagières totalement artificielles (« je suis confuse »). Artificialité, c’est le mot qui revient le plus à l’esprit en découvrant La belle endormie. Artifice des dialogues, du jeu des acteurs et mêmes de certaines situations beaucoup trop « intellectualisées » pour séduire. Un exemple entre mille : le jeune adolescent qui s’enfuit avec la Reine des neiges et qui devient infect après avoir reçu un flocon de neige dans l’œil. Les dialogues vont par la suite s’empresser de surligner qu’il s’agit en fait du passage de la puberté qui lui fait changer de vision et devenir insupportable (« l’âge ingrat », lui dit sa mère, comparé, bien entendu, au vert paradis des amours enfantines).
La belle endormie ne fait que confirmer, à mon sens, l’écueil vers lequel se dirige désormais le cinéma de Catherine Breillat. Celle qui fut une extraordinaire cinéaste des corps, de la crudité et du désir a désormais tendance à vouloir trop intellectualiser chacune de ses théories en se contentant de les illustrer sans parvenir à les incarner (Cf. le semi ratage d’Anatomie de l’enfer). La fin du film ne fait que confirmer cette impression même si, paradoxalement, c’est peut-être la partie que je préfère parce que la cinéaste renoue de plain-pied avec ses thèmes de prédilection : l’initiation des jeunes filles, le mystère du désir féminin, l’impossible harmonie entre l’homme et la femme… Mais ce qui manque justement à ces thèmes, c’est un ancrage dans la réalité ou, du moins, une certaine incarnation. Que serait Une vraie jeune fille sans les baignoires rouillées des maisons de campagne et les tenues 70’ ? Que serait 36 fillette sans l’ambiance sudoripare des campings français l’été ? Et que serait A ma sœur ! sans ce décor d’autoroutes, théâtre d’un fait divers sordide ?
Avec son cadre irréaliste de conte de fées, Breillat semble plaquer un brin artificiellement les questions qui l’obsèdent sans parvenir à la merveilleuse et glaçante stylisation d’un film « irréaliste » comme Romance.
Trop littéraire, trop artificiel, trop peu incarné ; La belle endormie ne séduit que le temps de quelques très beaux plans mais laisse au bout du compte l’impression d’un téléfilm « culturel » intelligent et soigné mais incapable de faire vibrer la chair et les émotions…