36 vues du pic St-Loup (2009) de Jacques Rivette avec Jane Birkin, Sergio Castellitto, Jacques Bonnaffé, André Marcon, Julie-Marie Parmentier

 

Peut-on parler d’œuvre testamentaire à propos de 36 vues du pic St-Loup ? Nous souhaitons bien évidemment à Jacques Rivette de pouvoir tourner encore de nombreux films mais ce dernier opus a tout d’un « traité de style », d’un résumé concis de tout ce qui fait l’art du cinéaste depuis près de 50 ans. Malgré une certaine familiarité de l’univers décrit, le film risque de déconcerter à la fois ceux qui connaissent bien son cinéma et ceux qui le découvriront pour la première fois car il s’agit, selon moi, de quelque chose qui relève davantage de l’esquisse que d’une œuvre véritablement achevée (pour la première fois de sa carrière, Rivette fait étonnamment court : 1h24 alors que ses films durent au minimum 2 heures et qu’il est familier des œuvres fleuves, des 4 heures de L’amour fou et la belle noiseuse aux 12h40 d'Out one). 

La première séquence, muette, nous met directement dans le bain : Jane Birkin tombe en panne sur une route de campagne. Passe une voiture qui ne s’arrête pas mais qui finit par revenir. Un homme élégant en sort (Sergio Castellitto), met les mains dans le cambouis et parvient à faire redémarrer le véhicule. Il repart sans avoir prononcé un mot… La manière dont Rivette filme cette petite séquence comme une chorégraphie « burlesque » (le mot est évidemment exagéré car tout cela reste très minimaliste) nous plonge immédiatement dans l’univers d’un cirque qui va servir de toile de fond au récit.

Chez Rivette, on sait que la scène sert souvent de métaphore au film en train de se faire : elle est l’espace où peut advenir une vérité, où un secret peut-être percé (Cf. La révélation finale -hors champ- de la belle noiseuse). Secret de l’Art qui n’est autre que celui de la vie : plusieurs fois dans 36 vues du pic St-Loup, les personnages jouent comme au cirque alors qu’ils ne sont plus sur une scène. Ce sont d’ailleurs sans doute les plus beaux passages du film, ceux où Rivette parvient, avec un simple jeu d’éclairages, à brouiller les frontières entre l’Art et la vie, thème cher à de nombreux grands cinéastes (Minnelli, Renoir mais on songe aussi au Truffaut du Dernier métro ou au Lola Montes de Max Ophüls).

Le secret, ici, c’est celui de Kate (Jane Birkin), qui reprend les affaires de son père fraîchement décédé alors qu’elle avait quitté le cirque depuis 15 ans. Alexandre (Castellitto), simple spectateur dans cet univers (pour la première fois, il n’y a pas de « metteur en scène » dans ce film pouvant endosser le rôle du double de Rivette), va tenter de délivrer Kate de son secret, tout comme Montriveau tentait de délivrer la duchesse de Langeais de son passé dans Ne touchez pas la hache.

Il est donc encore question de fantômes dans ce 36 vues du pic St-Loup, et c’est peut-être ça qui rend cette œuvre à la fois attachante et, en même temps, un peu décevante.

ssCe qui frappe, en effet, à la découverte de ce film, c’est sa tristesse. Les scènes de cirque ne sont absolument pas drôles et tout le monde en a conscience (à tel point que le rire forcé de Castellitto devient presque une « agression » qui interrompt les comédiens). La troupe joue sous un chapiteau perpétuellement vide et il ne semble rien rester des grandes utopies d’antan.

En effet, les répétitions théâtrales étaient auparavant un lieu de travail collectif, d’une aventure commune permettant de réinventer perpétuellement le monde et la manière de vivre ensemble. Le film a perdu toute la dimension joyeuse qu’on retrouvait encore dans L’amour par terre ou la bande des quatre et, en omettant désormais de filmer les répétitions (il n’y a d’ailleurs ici plus de réelles distinctions entre le spectacle et les répétitions), Rivette frôle parfois une certaine platitude dans la mesure où c’est dans la durée que ses grandes œuvres prenaient de l’ampleur (c’est d’ailleurs pour cette raison que je considère que la version « courte » de La belle noiseuse n’a aucun intérêt).

De la même manière, les relations entre les personnages se sont totalement atomisées et il ne semble plus y avoir de projet commun entre eux. L’époque veut sans doute ça mais, du coup, ce qui pourrait être un thème intéressant du film le dessert puisque la mise en scène peine à donner de la consistance à des personnages qui deviennent périphériques et « anecdotiques » (voir la manière dont est évincé l’excellent Jacques Bonnaffé). 

A mon avis, ceux qui parmi mes aimables lecteurs n’ont jamais vu de films de Rivette risquent d’être fort déçus et ne trouver aucun intérêt à ce dernier opus. Pour les autres, le plus émouvant est sans doute de voir un cinéaste se pencher sur son œuvre et y mettre une sorte de point final triste et désabusé. Pour ma part, j’ai été touché de revoir Jane Birkin hanter un film de Rivette, elle qui fut si légère dans L’amour par terre et déjà plus inquiète dans La belle noiseuse. Elle porte sur son visage les signes du temps qui passe, des amours mortes et des utopies enterrées.

C’est déjà pas mal…

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