Avida (2006) de et avec Benoît Delépine, Gustave Kervern

 

 

 

Si les sorties alléchantes se profilent à l’horizon (Kaurismäki, Woody Allen, Alain Resnais sans parler des deux grands évènements qui illuminèrent le dernier festival de Venise, à savoir les nouveaux De Palma et Lynch), j’avoue n’avoir pas été emballé par les programmes du moment. N’ayant rien vu depuis les sulfureux Anges exterminateurs de Brisseau, je me décidai néanmoins à retrouver le chemin des salles obscures et jetai mon dévolu sur Avida, OVNI précédé de rumeurs bienveillantes. Je m’attendais à une œuvre insolite mais pas aussi jusqu’au-boutiste. A tel point que me voilà bien incapable de vous dire de quoi il est question dans ce film où se croisent un certain nombres de personnages mutiques et totalement farfelus. Evoquer ce personnage de sourd-muet, dresseur de chiens, qui enfume un beau jour son patron dans sa maison high-tech avant d’être associé à deux zozos projetant l’enlèvement du caniche d’une milliardaire avant que cette dernière, désireuse de mourir, invite le trio à la porter au sommet d’une colline (ce n’est pas rien, eu égard à la corpulence de la belle dame) ne donnera qu’une faible idée de ce à quoi peut ressembler le film.

 

 

 

La bonne nouvelle, c’est que le film est réalisé par les joyeux hurluberlus de Canal+ (l’équipe de Groland) et que, pour une fois, ces gens pensent en terme de cinéma. Pas question de recycler paresseusement une succession de sketches télévisés, mais bel et bien de construire une œuvre cinématographique. De ce fait, le travail sur le cadre (très oppressant) et sur la composition des plans (souvent étonnante) est tout à fait remarquable. Je suis un peu moins fan de leur noir et blanc crasseux qui fleure trop une certaine tendance « arty-trash » (pour parler le français des Inrocks !).Mais Delépine et Kervern ont un imaginaire très fertile et ils savent, pour le coup, le mettre en scène. On s’amusera évidemment, au gré des saynètes et des apparitions des « vedettes » invitées, à reconnaître leurs influences. Topor, bien sûr, à qui il est rendu hommage dès la première scène, l’humour glacial et minimaliste de Kaurismäki (via l’apparition de Kati Outinen), le surréalisme, qu’il soit espagnol (Arrabal en picador de rhinocéros, Buñuel via le petit rôle de Jean-Claude Carrière, Dali à qui le titre rend hommage1) ou Belge (délicieuse armoire parlante dont la voix n’est autre que celle du génial « anti-libraire » Robert Dehoux, ami de l’entarteur et grand théoricien du « bouchage de serrures »). On pense également beaucoup à Beckett car le film a un caractère très désespéré et totalement absurde. Il est hanté aussi bien par l’idée de mort et de décomposition que par la vie dans ce qu’elle a de plus animale.

En effet, ce qui frappe le plus dans Avida, c’est l’importance de son bestiaire. Rhinocéros aux prises avec un picador, chien dépecé, autruches élégantes, insectes transportant des chips… Tout se passe comme si les auteurs étaient bien décidés à montrer que la destinée humaine se réduit aux mêmes tueries, aux mêmes fardeaux inutiles et au même néant.

L’insolite peut faire rire mais j’avoue que je ne trouve pas ce film très gai (ce n’est aucunement un reproche) même si certaines scènes sont très drôles. Je pense à Dupontel en garde du corps maladroit (incapable d’abattre un kidnappeur) ou encore à Chabrol en « zoophile débonnaire ».

 

 

 

Voilà donc un objet bien singulier (ça fait plaisir en ces temps d’uniformisation et de conformisme gluant !) qui fait montre de beaucoup d’audaces et d’inventivité. Si le résultat n’est pas convaincant à 100%, c’est peut-être parce que le film peine à dépasser la réussite de chacune de ses saynètes. En gros, il manque une trame ou un argument fort qui permettrait de souder toutes ces petites parties (réussies lorsqu’on les regarde séparément) tout en permettant au délire de ne pas rester un pur exercice de style (parfois la limite du film). Si l’on songe à Lynch, ces films-monstres (les derniers qu’il a tournés) partent toujours d’une trame qui fait lien et donne de l’ampleur à ses élucubrations fantasmatiques.

Aussi intrigant et prometteur que soit Avida (pas totalement une vraie promesse puisque Aaltra, le précédent film du duo que je n’aie pas vu, a aussi bénéficié d’une très bonne presse), il lui manque un peu de cette ampleur.

Cela n’empêche pas que nous sommes heureux d’avoir humé ce souffle d’étrangeté et que nous espérons rapidement avoir d’autres nouvelles de cette paire de cinéastes très douée…



1 « Avida dollars » (une anagramme) est le surnom que Breton donna au peintre.

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