Dans Paris (2006) de Christophe Honoré avec Romain Duris, Louis Garrel, Guy Marchand, Marie-France Pisier

 

 

 

A table, le petit Christophe n’a pas dit un mot depuis le début du repas et se ronge les ongles en silence. Il est inquiet depuis qu’il a remis sa copie et n’arrive pas à éloigner de son esprit l’idée d’une mauvaise note. Ses parents le rassurent : «  Voyons Christophe, tu as bien révisé. Il n’y a pas de raison pour que ton professeur ne soit pas content de toi ». S’il y a une chose en effet qu’on ne peut lui reprocher, c’est de n’avoir pas révisé ! Depuis des semaines, Christophe bachote. Tout ! Il connaissait tout sur la Nouvelle-Vague ! Truffaut, Godard, Demy n’avaient plus aucun secret pour lui. C’est dire s’il est sorti le cœur léger d’un contrôle où il a pu replacer toutes ses références. Puis, peu à peu, le doute s’est immiscé en lui. « J’avais déjà cité Demy dans mon premier devoir (17 fois Cécile Cassard) » songea-t-il « mais tous les profs me sont tombés dessus et j’ai failli redoubler. Si le même scénario se reproduisait aujourd’hui ? » La voix de sa mère le tire quelque peu de sa rêverie.

« Et puis, cette année, tu as Monsieur Frodon. Tu verras, ton frère l’a eu l’an dernier : il note très large et célèbre toujours 5 ou 6 chefs-d’œuvre par mois ! »

 

 

 

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Sous la lumière pâle éclairant tant bien que mal son bureau, Monsieur Frodon souriait en se passant la main dans son collier de barbe. Encore une fois, il avait trouvé un élève doué, capable de lui réciter par cœur les leçons qu’il a lui-même apprises il y a fort longtemps. Comme tout pontife, il était heureux de constater le zèle sans faille de ses disciples.

Il fallait que cette conversion ne passe pas inaperçue. Il décrocha alors son téléphone et appela les grands prêtres du Conseil des 10 i en leur suggérant d’honorer Christophe (je sais, c’est facile !).

« Personnellement, je lui attribue les 4 étoiles mais, chers confrères, je ne vous impose rien et vous laisse l’agrément de passer pour ringard si vous n’encensez pas ce film »

 

 

 

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Mercredi 4 octobre. Le verdict va tomber. Christophe tente de se rassurer en regardant ces collègues qui attendent également la sentence. « Bah, se dit-il ! C’est moi le plus moderne ! Qui va s’intéresser à un acteur adaptant un roman d’un écrivain totalement oublié ou à ce voleur de poule crasseux qui n’a rien de trouvé de mieux à faire que de filmer ses éternels gitans ! »

Christophe ne se trompait pas. La cour fut royale et l’adoubement par ses pairs se passa dans un enthousiasme délirant. « Tu es des nôtres ! » lui dirent tous en même temps ces gens venus des Cahiers, du Monde, de Télérama, des Inrockuptibles (« meilleur film français de l’année »). Le concert de louanges étourdit Christophe qui n’arrivait plus à distinguer qui parlait. Toutes ces voix officielles se mélangeaient dans un entêtant ronron où revenait les termes « modernité », « nouvelle-vague », « intimité » et tant d’autres. Christophe était sur son nuage et c’est ainsi que…

 

 

 

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Et c’est ainsi que naquit la plus grosse arnaque de l’année ! L’année dernière, la critique nous avait fait le coup avec le téléfilm champêtre et bourgeois des Larrieu ; cette année, c’est Honoré.

Une des grandes capacités de l’époque est de parvenir à un recyclage publicitaire de tous les signes de la modernité et de la subversion. Souvenez-vous de ces répugnantes chaînes de grands magasins reprenant sans vergogne les slogans de 68 (voire les images) pour vanter leur camelote. De la même manière, nous avons pu voir Dada, le surréalisme et les situationnistes congelés dans la culture et exposés dans les musées (c’est la meilleure méthode pour éteindre les charges subversives).

C’est maintenant au tour de la Nouvelle-Vague d’être pillée par un cinéaste qui n’en tire rien d’autre qu’une pose branchée.

Dans Paris narre les aventures de deux frères. Paul (Romain Duris) revient au bercail familial (dans la capitale) lorsque son histoire d’amour commence à prendre l’eau. Quant à son frère Jonathan (Louis Garrel, qui ressemble de plus en plus à Jean-Pierre Léaud), il se dépatouille avec ses nombreuses conquêtes et cherche à distraire son frère.

 

 

 

Au petit jeu des références, on peut y aller : Godard (celui de Bande à part, d’A bout de souffle et de Pierrot le fou), Truffaut (Domicile conjugal, Baisers volés), Demy (une séquence chantée assez grotesque) et pourquoi pas Eustache.

Entendons-nous bien : je n’ai rien contre les œuvres référentielles (la nouvelle-vague est d’ailleurs la première à s’être nourrie du cinéma des autres), à condition que cette recherche d’une filiation s’inscrive dans de véritables enjeux cinématographiques.

Or quels sont les enjeux de Dans Paris si ce n’est étaler une culture cinématographique et accumuler des vignettes sans le moindre intérêt. Il n’y a absolument rien dans ce film si ce n’est la plus horripilante pose et une prétention infinie à vouloir nous faire prendre cette vessie pour les lanternes de la modernité. Faudrait quand même se souvenir que lorsque Godard se permet d’interpeller directement le spectateur ou de multiplier les faux-raccords, il invente un véritable langage cinématographique, bouscule toutes les règles de la grammaire existante et se montre totalement en phase avec son époque.

 

 

 

Où est la modernité dans Dans Paris ? La ville n’est pas filmée de manière moins folklorique que chez Jeunet, les personnages n’ont aucune consistance et ne disent rien sur la jeunesse d’aujourd’hui (ah, si pardon, on ne dit plus « c’est chouette » mais « c’est de la balle » ! Je sais, c’est assez osé !). ii Quant à la mise en scène, il va falloir en rediscuter. Si on la compare avec celle des Larrieu l’an dernier, elle est moins indigente, moins platement télévisuelle. On aurait envie de dire que c’est du cinéma. Sauf qu’encore une fois, la mise en scène est une adéquation entre le fond et la forme du film. Or malgré quelques jolis plans, cette accumulation de tics (ni plus ni moins que du copier/coller des œuvres des glorieux aînés) ne répond à aucun désir, à aucune pensée. C’est du plagiat d’étudiant en cinéma qui pense révolutionner le monde en refaisant ce qui se faisait il y a bientôt 50 ans.

 

 

 

Je parlais autrefois de cette nouvelle sorte d’académisme « auteurisant » qui menace le cinéma français. Christophe Honoré en est la parodie hypertrophiée. Aucun style mais de la pose. Aucun projet cinématographique sauf plaquer artificiellement les acquis de la Nouvelle-Vague sur un projet contemporain, à la manière de René Clair s’échinant à tourner comme au temps du muet alors que le cinéma était parlant.

 

 

 

Pour la critique institutionnelle, la référence est désormais la Nouvelle-Vague (attention, je suis un grand amateur de cette génération et je ne vais pas non plus dans le sens d’une certaine tendance réac qui tente de lui coller tous les maux du cinéma sur le dos !). Christophe Honoré leur sert la soupe et l’accueil est délirant. Mais ne nous y trompons pas : Honoré est le Jean Delannoy de l’époque et même s’il apparaît comme le parangon de la branchitude, son film est vide et vain comme les croûtes franchouillardes des années 50.

On n’adapte plus aujourd’hui les grands classiques littéraires mais les grands classiques du cinéma moderne.

Le geste reste donc le même…

 

 

 

NB. La meilleure réflexion sur le film peut se lire ici

 

 

 



i Pour ceux qui ne lisent pas les Cahiers du cinéma, le conseil des 10 est un tableau en fin de numéro où 10 critiques (5 des Cahiers, 5 extérieurs) cotent  les films de 0 à 4 étoiles.

ii Je préfère largement les hommages rendus par Mouret à Truffaut dans Changement d’adresse. Au moins, le cinéaste le fait avec une certaine modestie et se concentre avant tout sur ses personnages qui sont beaucoup plus justes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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