Massacre à la tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper avec Marilyn Burns

 

 

 

Je pensais que c’était désormais clair pour tout le monde et qu’il n’y aurait pas lieu d’y revenir. Et pourtant, les ostrogoths de mon espèce qui persistent à lire Télérama auront une nouvelle fois l’occasion de s’étonner en lisant sous la plume d’un quelconque folliculaire que Massacre à la tronçonneuse « lança un genre, le « gore » » ! La légende qui illustre une photo du film va même jusqu’à affirmer qu’il s’agit du « premier film gore » !

Est-ce que ces gens ont vu le film ? Combien de fois faudra-t-il le répéter ? Massacre à la tronçonneuse n’est en aucun cas un film gore ! Le cinéma gore est un genre qui repose sur ce que Philippe Rouyer a appelé « une esthétique du sang ». Des hectolitres d’hémoglobine déversés sont la condition sine qua non de ce genre. C’est H.G.Lewis qui, avec Blood feast, lança la mode dès 1963 (soit, chers amis de Télérama, 10 ans avant le film de Tobe Hooper !) et nous pouvons citer, parmi les plus célèbres de ses successeurs, le Stuart Gordon de Ré-animator, Lucio Fulci, certains films de Bava (la baie sanglante), de Deodato et Lenzi ou encore, les premiers films de Peter Jackson. Le « gore » est, par essence, un genre irréaliste qui utilise (dans le meilleur des cas) le sang comme élément plastique.

Outre qu’il n’y a quasiment aucune scène sanglante dans Massacre à la tronçonneuse (moins, en tout cas, que dans le vent se lève de Ken Loach !) , le film tire sa force de sa dimension réaliste, quasi-documentaire.

 

 

 

Nous le disions à propos du remake aseptisé de Marcus Nispel, l’œuvre de Tobe Hooper s’inspire d’un fait divers réel. Le cinéaste suit le chemin de cinq jeunes (trois garçons, dont l’un est handicapé et se déplace en fauteuil roulant, et deux filles) qui parcourent le Texas à bord d’un van pourri. Après avoir pris un auto-stoppeur bien allumé, ils seront confrontés à l’horreur pure lorsqu’ils croiseront la route des autres membres d’une famille d’anciens bouchers complètement tarés…

 

 

 

Trente ans après sa sortie, le classique de Tobe Hooper n’a pas pris une ride et provoque toujours le même malaise. Massacre à la tronçonneuse n’est pas un film sanglant (j’espère que cette fois, c’est clair !) ni même un film réellement violent : c’est un film viscéral d’une brutalité inouïe. Lorsque Leatherface tue le deuxième garçon, il lui suffit d’un grand coup de masse. La scène n’est pas vraiment « violente » (je sais, je joue sur les mots) car Hooper garde ses distances et ne s’attarde pas sur le cadavre, mais le réalisme et la rapidité du geste la rendent d’une brutalité insoutenable.

Le film prend aux tripes car il est ancré d’une manière incroyablement habile dans la glauque réalité du Texas. Hooper s’attarde sur des paysages arides plombés par un soleil accablant, insiste sur des détails sordides et inquiétants (les ossements qui encombrent les pièces de la demeure familiale maudite, les plans apocalyptiques sur des déchets de la civilisation industrielle…) et joue la carte d’une mise en scène ultra-réaliste. Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec le critique de Télérama qui parle d’un « film plastiquement splendide ». J’admets qu’Hooper travaille de manière admirable la lumière solaire mais je trouve sa manière de filmer assez fruste (1), toujours chevillée au Réel.

Attention, je ne suis pas en train de dire que la mise en scène est naturaliste ou indigente mais on ne trouve pas ce travers qui m’irrite énormément dans le cinéma d’horreur aujourd’hui, à savoir cette manière d’esthétiser la violence. La manière de filmer Hooper n’est, par contre, jamais plate. J’aime beaucoup, par exemple, cette façon qu’il a d’utiliser la contre-plongée. Dans la terminologie « classique », une contre-plongée permet de magnifier un personnage, de lui donner une certaine ampleur, une certaine importance (voir chez Eisenstein). Ici, Hooper utilise a contrario cette figure de style et parvient à donner un sentiment d’écrasement des personnages. Ecrasement par des ciels immenses et inquiétants, par un soleil de plomb et par une nature hostile. 

De la même manière, il faut revoir cet extraordinaire moment qu’est le « repas » familial où Sally (l’unique survivante du massacre) est confrontée à tous les membres de la famille de dingues. Hooper arrive par son découpage, les gros plans sur les yeux de la jeune fille, le jeu sur le son et une musique quasi-expérimentale (sur ce coup-là, je suis d’accord avec le critique de Télérama !) à instaurer un véritable climat de folie totalement oppressant et « malaisant » (comme on dit en bon français aux Cahiers du cinéma (2)!) 

 

 

 

Que ce soit dans la réaction des ados ou dans cette manière de « typer » les membres de la famille tueuse, Hooper respecte un certain « réalisme » même si celui-ci se révèle parfois viscéral et plonge dans les recoins les plus obscurs de l’humanité (voir ce grand-père en voie de momification qui suce le sang de Sally tel le Nosferatu de Murnau). Ce qui frappe dans le film de Hooper, c’est son regard sans concession sur l’envers du rêve américain. Massacre à la tronçonneuse s’inscrit dans la veine des films totalement nihilistes de l’époque (voir Assaut de Carpenter et l’excellent La colline à des yeux de Wes Craven) qui vont fouiller les recoins les plus sordides d’une Amérique rustre et oubliée.

 

 

 

C’est cette noirceur, ce refus de toute lueur d’espoir qui rendent le film aussi oppressant et toujours aussi perturbant aujourd’hui.

 


1 Dans mon souvenir, le filmage était beaucoup plus « pauvre ». Sans doute est-ce parce que j’ai découvert ce film très jeune, du temps des bonnes VHS dont le rendu était loin d’être aussi parfait que celui des DVD et autres diffusions numériques. Je me souviens aussi d’une diffusion sur la chaîne Suisse Romande dont la réception était loin d’être parfaite : mais le fait de voir la neige tomber sur le Texas renforçait paradoxalement le côté glauque et fruste du film.

2 J’ai décidé aujourd’hui de me faire des amis et d’entamer une carrière de critique professionnel !

Retour à l'accueil