Scoop (2006) de et avec Woody Allen et Scarlett Johansson

 

 

Notre Woody Allen annuel, c’est l’un des rares plaisirs sur cette planète dont nous ne saurions nous dispenser et c’est désormais une tradition aussi bien implantée que celle du Beaujolais nouveau. Sauf que l’honnête homme qui voit défiler les immuables génériques du magicien (la même police de caractères blancs sur fond noir) sait qu’il a beaucoup plus de chance de se griser qu’en buvant la piquette que la rapacité des marchands tente de nous vendre comme une institution !

Bref, de magicien il sera question puisque Woody Allen s’est offert ce rôle dans Scoop. Lors d’un tour classique où il escamote une jolie étudiante apprentie-journaliste (Scarlett Johansson), celle-ci se trouve confrontée au spectre d’un grand reporter qui lui confie un dernier scoop : le « tueur au tarot » qui terrorise Londres (à l’instar de Jack l’éventreur, il assassine des prostituées) ne serait personne d’autre que le fils fortuné d’un très digne Lord anglais. A partir de là, la belle et notre hypocondriaque préféré vont mener l’enquête et tenter de se rapprocher dudit héritier pour éclaircir le mystère…

 

 

 L’œuvre de Woody Allen est d’une telle cohérence que le premier réflexe est de se replonger dans les souvenirs de ses films précédents pour trouver des réminiscences et des prolongements. S’il fallait absolument faire des comparaisons, je dirais que Scoop est une sorte de croisement entre Meurtre mystérieux à Manhattan et Match point. Comme Meurtre mystérieux à Manhattan, le film est avant tout une comédie policière aussi captivante que désopilante. Dans ce film, l’enquête policière était un prétexte pour remettre un peu de piment dans la vie d’un couple, de lui permettre de vivre (à l’instar de Mia Farrow dans La rose pourpre du Caire) une aventure digne d’un film. On sait que pour Woody Allen, l’art et les illusions du spectacle ont toujours été supérieurs à la vie et qu’ils restent les meilleurs moyens pour la supporter et conjurer la mort. On retrouve cette idée dans Scoop. Le personnage qu’incarne le metteur en scène est un magicien, un illusionniste. Capable de faire disparaître des corps ou des cartes, il est capable également de convoquer des esprits et des spectres. Comme dans Alice et beaucoup d’autres films du maître, le surnaturel n’a jamais été aussi « naturel » que dans cet univers d’illusion. Ce fantôme de journaliste qui confie un dernier scoop à Sondra, c’est avant tout le moyen d’enclencher une fiction et de se propulser dans l’univers abracadabrant d’une enquête policière à la Conan Doyle ou à la Gaston Leroux où tout devient possible (la petite roturière peut même tomber amoureuse du beau prince charmant). Le terne quotidien est transfiguré par l’illusion.

 

 

Cependant, si la petite étudiante peut pénétrer sans problème dans l’univers clôt de l’aristocratie anglaise ; le cinéaste ne va pas cesser de pointer les différences de classes. C’est en ce sens qu’on peut dire que Scoop prolonge l’expérience anglaise de Match point.

Toute l’œuvre de Woody Allen semble se placer sous le signe d’un complexe. Complexe d’infériorité par rapport aux grands auteurs américains (Groucho Marx, Chaplin, Wilder…) et européens adulés (Fellini, Bergman…) dans la première partie de sa carrière ; et, par la suite, sentiment de disproportion entre la manière dont l’artiste se voit (un modeste clown) et l’accueil qui lui est réservé (tous ses films bâtis autour d’une supercherie et dont le plus parfait exemple reste cette scène hilarante où la critique française encense le film d’un cinéaste aveugle dans Hollywood ending !). En partant tourner en Angleterre, Woody Allen semble désormais développer le complexe du petit juif de Brooklyn qui se trouve soudainement confronté à l’aristocratie britannique dans ce qu’elle a de plus guindée. Si son regard est assez acide, il n’a rien d’une charge à boulets rouges et le cinéaste se garde bien de la caricature. Il montre cependant avec une rare acuité le pouvoir que donne l’argent et que derrière cette façade policée peuvent se mouvoir de sombres desseins.

J’entends déjà les esprits-chagrins (1) reprocher à Woody Allen la transparence de sa mise en scène (pour moi, elle est invisible, ce qui n’est pas tout à fait la même chose : le cinéaste ne l’oublie pas mais il a l’élégance d’en estomper tous les effets voyants). Pourtant, il faudrait être aveugle pour ne pas voir la manière dont Allen arrive à faire exister d’emblée ses personnages à l’écran et nous emporter dans son tourbillon romanesque. Il faudrait être aveugle pour ne pas considérer comme de la mise en scène cette façon de s’inscrire dans un espace, dans des lieux précis. Quelques façades et nous sommes à Londres. Des intérieurs cossus et une grande propriété et nous voilà projetés dans la  haute société londonienne. Le sens du détail (la manière d’insister sur un objet d’art ou de s’attarder sur la diction si typique des aristos anglais) permet au cinéaste d’éviter que sa fiction s’affadisse dans l’artifice ou la caricature. La direction d’acteur est impeccable (Scarlett Johansson n’a jamais été aussi belle et aussi bonne que dans ce film, si ce n’est dans Match point !) et les dialogues sont un régals de chaque instant (« je suis de religion hébraïque mais je me suis converti au narcissisme » dit avec beaucoup d’autodérision l’acteur Woody Allen).   

 

 

Ceux qui avaient été un peu déconcertés de ne pas retrouver l’humour habituel de Woody Allen dans Match point seront aux anges puisqu’on le retrouve ici.

C’est fin, c’est drôle, c’est léger : c’est un très bon cru et l’on boit du petit lait…

 


1 Ces mêmes esthètes (de nœud) qui n’hésiteront pas à défendre sans vergogne OSS 117, Palais royal ou Poltergay !

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