Madame de…(1953) de Max Ophüls avec Danielle Darrieux, Charles Boyer, Vittorio de Sica

 

 

« Il paraît que c’est quand on a trop à dire qu’on se tait » est-il dit en substance dans le chef-d’œuvre de Max Ophüls. C’est un peu le sentiment qui me vient à l’instant. La crainte d’abîmer quelques chose d’aussi fragile, d’une beauté aussi délicate et parfaite que ce film, me pousserait presque à m’abstenir. Peur de la lourdeur de mes mots sur ces sentiments aussi profonds qu’évanescents ; peur d’entrer dans ce luxueux salon viennois avec des croquenots tout crotté. Même Manchette écrivait, à propos de Lola Montès (du même génial cinéaste) qu’il n’avait pas « d’autres commentaires à faire sur ce film car nous ne sommes pas de taille. Et puis, « on a beaucoup trop parlé… » dit aussi Annenkov. » Qu’ajouter après cela ? Simplement vous recommander chaleureusement de vous ruer pour (re)voir Madame de…

 

 

Vous y admirerez :

·        Des boucles d’oreilles qui passent de mains en mains et que nous qualifierions volontiers d’  « objet bouleversant » dans le sens que Paul Nougé donne à cette expression. En effet, à mesure que ces bijoux voyagent, ils se chargent de nouveaux sentiments, de nouveaux affects. Symboles dans un premier temps de la frivolité de Louise (D.Darrieux) et d’un mariage de raison d’où toute passion s’est enfuie (c’est pour cette raison qu’elle n’hésite pas à les vendre pour combler ses dettes) ; ils deviennent par la suite la dernière preuve tangible d’un amour dévorant et finissent par compter plus que tout (notre héroïne est prête à vendre tout le superflu pour racheter ces boucles)

·         Des soirées mondaines où les cœurs chavirent au rythme de la danse. Comme dans un film précédent d’Ophüls (la ronde), le motif du film est celui de la sarabande, la valse des sentiments et des amours. La mise en scène, sublime, déploie ses volutes au rythme de ces battements de cœur. La caméra est toujours mobile, épousant avec une élégance et une virtuosité inouïes les mouvements des personnages (que ces mouvements soient purement physiques ou sentimentaux). Les longs travellings souples ou les amples panoramiques décrivent de splendides volutes qui renvoient bien évidemment à l’art viennois du début du siècle.

·        Un monde de faux-semblant aux reflets somptueux (voyez la manière dont Ophüls utilise les miroirs) où chaque personnage ment tout en sachant que c’est par l’artifice du mensonge qu’on parvient à sonder les sentiments les plus profonds. Chaque mot, chaque phrase prononcés ont un double voire un triple sens selon le point de vue que l’on adopte. Un exemple entre mille : Louise demande pardon à son mari d’avoir égaré ses boucles d’oreilles. C’est un mensonge et il le sait et s’amuse à lui faire répéter plusieurs fois et plus fort ce « pardon » qui résonne de trois manières différentes (celui que le spectateur et le mari entendent n’est pas le même que celui que la femme prononce).

·        Un mélodrame totalement bouleversant, d’un lyrisme incandescent et pourtant toujours retenu.

·        Des acteurs parfaitement habités par leur rôle, de la vieille baderne guindée avec son monocle qui dissimule sous une carapace de convenances l’homme éprit malgré tout de sa femme (Charles Boyer) à l’amant diplomate (Vittorio De Sica, en séducteur dépassé par sa passion) en passant par l’éthérée Louise, parfaite Danielle Darrieux qui pratique avec un génie incontestable l’art de l’antiphrase (« Je ne vous aime pas ! Je ne vous aime pas ! Je ne vous aime pas ! ») et de l’évanouissement.

·        Le plus grand film français des années 50 et l’un des plus beaux de tous les temps.

 

 

Tout simplement.

Retour à l'accueil