Leçon d'histoire
J’ai vu tuer Ben Barka (2005) de Serge Le Péron avec Charles Berling, Jean-Pierre Léaud, Josiane Balasko, Fabienne Babe
Il est souvent reproché au cinéma français de ne pas se coltiner avec les pages troubles de son histoire ou d’éviter systématiquement les sujets qui fâchent (la réalité politique de notre belle « raie publique » !). On pourrait rétorquer qu’au vu des résultats, il est peut-être effectivement préférable que les cinéastes s’abstiennent… Bon, ne commençons pas par être désobligeant et d’humeur massacrante. D’une part, parce qu’il existe de jolies réussites dans ces domaines (songeons simplement cette année à L’ivresse du pouvoir de Chabrol et au beau film discret de Philippe Faucon sur la guerre d’Algérie, la trahison). D’autre part, parce que le film de Le Péron (son troisième après Laisse béton et L’affaire Marcorelle) n’est pas catastrophique. Nous allons y venir.
Pour aborder l’une des affaires politiques les plus mystérieuses des années 60 dans laquelle ont trempé les services secrets français (l’enlèvement du leader d’opposition marocain Mehdi Ben Barka en plein Paris), Le Péron opte pour une approche policière. L’affaire est vue du point de vue d’un mort (une petite référence à Boulevard du crépuscule de Wilder) qui n’est autre que Georges Figon (Charles Berling), ancien repris de justice qui va se révéler être l’élément clé de l’enlèvement. Présenté comme producteur de films à Ben Barka, il va servir d’appât pour faire venir l’agitateur en France et le coincer.
J’ai vu tuer Ben Barka est, les images d’archives sur lesquelles il s’ouvre le prouvent, un film didactique ; mais, pour une fois, je n’utiliserai pas ce mot dans un sens péjoratif. Il ne s’agit effectivement pas pour le cinéaste d’asséner un discours militant ou de présenter les faits à des fins de manipulations émotionnelles mais de faire œuvre « pédagogique » et de tenter de démêler les fils d’une obscure affaire (« Et l’affaire Ben Barka, elle est claire ? », entendait-on dans Made in USA de Godard en 1966). C’est assez intéressant. On apprend par exemple le rôle, involontaire, que jouèrent dans cette mascarade le cinéaste Georges Franju (J.P.Léaud) et Marguerite Duras (Josiane Balasko), tous deux devant collaborer à l’œuvre produite par Figon. On replonge également dans une époque où soufflait le vent de la révolte du côté du tiers-monde et celui des espoirs que certains leaders laissaient envisager pour sortir totalement de l’impérialisme des pays colonisateurs. Moi qui regarde très rarement des films pour subir des cours d’histoire, je dois avouer que, une fois n’est pas coutume, c’est cet aspect qui m’a le plus intéressé dans l’œuvre de Le Péron.
Le reste est moins convaincant. D’abord, on sent que le cinéaste n’a pas eu énormément de moyens. Il utilise les six voitures d’époque pour faire croire que nous sommes dans les années 60 mais ça sent quand même les restrictions budgétaires et l’obligation de ne pas filmer trop souvent en plan large de peur qu’on reconnaisse la ville aujourd’hui. Franchement, je n’irai jamais reprocher à un cinéaste la pauvreté de son film (les plus grands films sont parfois des films fait sans un sou). Seulement, il aurait du opter pour un parti pris formel plus radical, et même, pourquoi pas, miser tout sur une esthétique de série B qui aurait pu s’avérer très fructueuse. Au lieu de ça, Le Péron s’en tient au film d’époque un peu plan-plan à la française. La mise en scène est désespérément pépère, ne sortant que trop rarement du plan rapproché télévisuel et de ses tunnels de champs/contrechamps.
Au final, ce n’est pas totalement indigent mais à peine plus soigné qu’un téléfilm de série. Reste alors un sujet fort et un casting très brillant. Charles Berling est bien sans être transcendant, Balasko est assez étonnante dans le rôle de la « papesse gâteuse des caniveaux bouchés » [Desproges] car elle n’est pas dans l’imitation, juste dans la sobriété, c’est bien ! On a le plaisir d’apercevoir (dans le rôle d’une petite actrice oubliée, compagne de Figon) la délicieuse et décidément trop rare Fabienne Babe. Mais le pompon revient à Jean-Pierre Léaud, une fois de plus impérial, qui compose une figure de Franju extraordinaire.
Pour lui, ce film très moyen mérite un petit coup d’œil…