Innocents, the dreamers (2003) de Bernardo Bertolucci avec Eva Green, Louis Garrel, Michael Pitt

 

 

Entrons directement dans le vif du sujet, le cinéma de Bertolucci et ce qu’il est devenu depuis ses grands films des années 60-70 m’indiffère complètement. Pourtant, je dois avouer que ce dernier opus en date me tentait plutôt et avait réussi à éveiller en moi une certaine curiosité (because Mai 68 et la cinéphilie). Le résultat ne m’a pas réellement convaincu mais avouons qu’après deux aussi effroyables navets que Beauté volée et Little Buddha (un des pires films que j’aie vu de toute ma vie), Innocents s’avère plutôt regardable et se suit sans ennui (quoique sans passion !).

 

 

Nous sommes à Paris en 1968. Matthew (Michael Pitt), un jeune étudiant américain fait la connaissance des jumeaux Isabelle et Théo, deux jeunes cinéphiles qui passent leurs journées à la cinémathèque d’où Henri Langlois vient de se faire limoger. Ses deux nouveaux amis invitent Matthew à venir s’installer dans la vaste maison familiale bourgeoise qui est mise à leur disposition grâce au départ des parents. Une étrange complicité (amicale et amoureuse) va se nouer entre ces trois jeunes gens…

 

 

C’est un film étrange qu’a voulu réaliser là Bertolucci. Comme s’il voulait retrouver la fraîcheur de ses débuts, il se lance dans un huis-clos torride et limite incestueux, semblant vouloir renouer avec le succès de scandale du Dernier tango à Paris. De l’autre, ce qui se voudrait un film « jeune » et « nouvelle-vague » s’avère totalement figé dans une nostalgie fétichiste. La séquence où Bertolucci filme la mobilisation du milieu du cinéma pour soutenir Langlois me paraît illustrer à merveille cette contradiction. D’un côté, il insère des images d’archives où l’on voit l’exceptionnel Jean-Pierre Léaud, du haut de ses 20 ans, haranguer la foule des manifestants ; de l’autre, le cinéaste retourne cette scène en donnant leurs propres rôles à Léaud et Kalfon. Voilà donc des acteurs approchant la soixantaine qui rejouent ce qu’ils ont été autrefois. Il ne s’agit pas pour Bertolucci de nous offrir un point de vue personnel sur cette époque mais d’en convoquer des icônes et de les figer dans l’imagerie. De l’utilisation des morceaux musicaux composés par Duhamel et Solal pour les films de Godard jusqu’à ce moment où le cinéaste fait rejouer à son trio la scène du Louvre de Bande à part ; Innocents se complaît dans une nostalgie cinéphilique un peu vaine. On pense parfois même (quelle horreur !) au récent  Dans Paris à cette différence près que Bertolucci a vécu cette époque et qu’il la rappelle par le biais de citations fétichistes tandis qu’Honoré prend une pose branchouille pour refaire en plus mal ce qui a déjà été fait 40 ans auparavant.

Ce cinéma de citations me semble assez artificiel car, malgré l’excellence des acteurs (mention spéciale à la superbement croquignolette Eva Green), il n’est jamais réellement incarné. Bertolucci ne se débarrasse pas totalement de cette « joliesse » qui polluait ses films précédents. Il filme ses jeunes interprètes sous toutes les coutures (enfin, je devrais dire, en leur faisant ôter toutes leurs coutures !) mais ne dépasse pas l’imagerie publicitaire. Et il a beau mettre un peu d’alcool dans son sirop (le thème de l’inceste qui renvoie aux riches heures de la luna), tout cela reste assez aseptisé !

 

 

Ce qui interpelle le plus dans Innocents, c’est son côté « auteur », cette manière qu’à Bertolucci de dire : « Eh, pardon les jeunes mais j’existe encore ! Voyez ! Je renoue avec mes thèmes d’antan ». On sait la place qu’ont tenu chez lui la psychanalyse et ses difficultés à résoudre le conflit entre ses options politiques (le stalinisme pur de 1900) et ses origines (la grande bourgeoisie). Le film parle de ça : de petits bourgeois qui se calfeutrent dans leur grand appartement tandis que toute la France est dans la rue, et qui hésitent entre un certain idéalisme (rejoindre les rangs des révoltés) et la conscience que cette révolution peut mettre fin à leur « classe » (avec ce paradoxe que Mai 68 les sauve quand même du suicide !). Littérairement, ce n’est pas inintéressant mais une fois de plus, Bertolucci use d’une imagerie assez pauvre pour traiter ces thèmes (voir les quelques scènes grotesques de reconstitutions de Mai 68 avec toute la foule portant des drapeaux soviétiques ! Bertolucci aurait du se replonger dans les éditos de l’humanité et les discours de Marchais pour se souvenir où étaient vraiment les communistes à cette époque !).

 

 

Le résultat n’est pas déshonorant mais mieux vaut revoir le superbe Les amants réguliers de Philippe Garrel pour avoir une idée un peu plus précise de ce qu’a pu être Mai 68.

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