Go away les faux indépendants !
Go ! (1999) de Doug Liman avec Katie Holmes
La vie du cinéphile ordinaire n’est parfois pas une sinécure. Prenez un mercredi comme les autres. Rentré du turbin sur les coups de 19 heures : pas le temps de manger sur le pouce et de se précipiter en salles pour voir le dernier Scorsese ou, éventuellement, le dernier Bonitzer. Les nazis avaient fait écrire à l’entrée des camps de concentration « Arbeit macht frei » : ils avaient le sens de l’humour ! Le cinéphile se rabat alors sur le câble et son cœur s’arrête : deux incunables de Jess Franco avec Soledad Miranda sont diffusés sur une chaîne câblée… à laquelle il n’est pas abonné ! Les œufs trop cuits qu’il s’était préparé auraient du le mettre en garde : il était écrit que la soirée serait mauvaise !
Comme l’idée de se goinfrer le film d’un ancien flic avec Depardieu et Auteuil s’avère totalement au-dessus de ses forces, le cinéphile jette un coup d’œil aux titres qu’il connaît déjà : un Stephen Frears plutôt sympatoche mais pas excitant au point de le revoir (Héros malgré lui), idem pour un Bernard Stora totalement effacé de sa mémoire (Vent de panique). A côté de cela, un Audiard ringard (Comment réussir quand on est con et pleurnichard) et l’indispensable Boucher chabrolien. C’est vers ce phare qu’allait, en désespoir de cause, se tourner le cinéphile quand, sur un accès de démence, il décida de tenter l’inconnu et de se jeter à l’eau en adoptant le Go ! de Doug Liman, cinéaste venu du circuit « indépendant » (Swingers) et qui, désormais, exécute de bonnes grosses productions anonymes (La mémoire dans la peau, Mr and Mrs Smith) qui réjouissent tout le monde…sauf le cinéphile dont l’esprit chagrin est proverbial !
Pour le dire d’une manière très directe, Go ! c’est une grosse merde vendue sous l’estampille « indépendant » afin de camoufler le fumet rance qui s’en dégage. Liman suit les traces de quelques jeunes gens qui vont se mettre dans de drôles de galères en ce jour de Noël.
La construction alambiquée du film (une situation identique qui donne lieu à trois segments narratifs parallèles : on suit d’abord une jeune paumée, puis le rouquin qui lui a prêté son appartement et qui part en virée à Las Vegas avec ses potes et enfin, un petit couple de comédiens pédés) a fait comparer ce machin à du Tarantino. Sans être un fan éperdu de l’auteur de Pulp fiction, je trouve un peu énervant qu’on le cite à chaque fois qu’un film parle de drogues, de violence et de récits entrecroisés. Parce que, quoiqu’on en pense, il est difficile de nier que ce dernier ait un sens inouï de la narration et qu’il est un véritable cinéaste (tapageur parfois, mais authentique !). Rien de cela chez le tâcheron Liman qui d’ailleurs, comble d’ironie, refuse la filiation avec Tarantino et affirme qu’il a tourné Go ! contre ses films où il y a, je cite, « trop de morts ». Se dévoile dans cette déclaration l’hypocrisie crottée de puritanisme qui englue ces cinéastes pseudo-branchouilles qui surfent sur une mode (la drogue, les boites, « l’éclate »…) pour n’arriver au bout du compte qu’à une merdeuse leçon de morale.
Résumons : un scénario écrit par un ado de 15 ans (son d’une voix qui mue « Ouais, cool ! On va faire un film où y’aura plein de scènes en boîte de nuit et où l’on s’éclatera avec de l’ecstasy et des pétards ! Trop de la balle ! ») filmé par un handicapé moteur qui confond effets tocs et mise en scène. C’est amusant car je me suis souvenu du médiocre La mémoire dans la peau auquel je reprochais une mise en scène assez tapageuse avec roulis de caméra comme effet redondant au roulis de la mer. Ici, c’est exactement la même chose : pas de cadre, aucun effort de construction de plan mais une caméra qui tangue (pourquoi ?) et une esthétique mi-clip, mi-pub pour un résultat cent pour cent n’importe quoi. C’est là qu’on se dit que le cinéma indépendant, qui permit autrefois de révéler de véritables cinéastes (Jarmusch, Hartley, Kerrigan, les Coen…) n’est plus aujourd’hui (bon, faut pas généraliser, mais majoritairement) qu’une pataugeoire où les futurs patrons du cinéma américain font leur galop d’essai avec ce que cela implique de roublardise, de conformisme et d’absence de regard. Go ! est un gros film de studio réalisé sans budget et auquel le cachet « drogue plus techno » apporte un label indépendant totalement galvaudé. Que tout cela est vide, vain, vil et moche ! Comme cette complaisance jeuniste est détestable ! Comme ce rapport à la drogue est crétin !
Sur le sujet, c’est une phrase du grand Marcel Moreau qui nous vient à l’esprit : « La drogue peut bien un instant scander l’agressivité, elle se résume inexorablement en soumission. Mais un autre de ses dangers est la prime qu’elle donne aux médiocres. Elle est devenue l’espoir des sans-imagination, des sans-voyance, des ratés de toute espèce ».
C’est marrant, cette dernière phrase résume parfaitement ce que sont Doug Liman et son film…