Une vierge sur canapé (1965) de Richard Quine avec Natalie Wood, Tony Curtis, Lauren Bacall, Henry Fonda, Mel Ferrer

 

 

Comme tous les grands genres classiques, la comédie va connaître un certain « déclin » à partir des années 60 (avec le développement de la télévision) et évoluer vers d’autres formes. Paradoxalement, cette période reste relativement peu analysée et il existe, pour ce genre, une espèce de chaînon manquant entre la splendeur des classiques et la comédie d’aujourd’hui. Pour dire vite, qu’est-ce qui relie Lubitsch et Cukor (qui peut se mettre sa tenue d’apparat puisque ça va être bientôt son tour de venir parader en ces pages) et les frères Farrelly ?

Ce qui fait lien, c’est cette comédie « pop » dont le grand instigateur pourrait être le Billy Wilder de Sept ans de réflexion et dont Blake Edwards, Jerry Lewis et Frank Tashlin furent les grands fers de lances. Avec Une vierge sur canapé, Richard Quine s’inscrit parfaitement dans cette tendance.

Mais, me direz-vous, qu’est-ce qui caractérise la comédie américaine des années 60 par rapport à la comédie classique ? C’est simple : si les schémas scénaristiques restent relativement les mêmes (ici, un journaliste à scandales tente de faire avouer à une jeune psychanalyste, qui a écrit un best-seller sur les problèmes du couple, qu’elle est vierge. Les deux se cherchent, se séduisent, se chamaillent et finissent immanquablement par tomber dans les bras l’un de l’autre), c’est le traitement qui devient de plus en plus agressif, de plus en plus cru. Au fond, un film comme Mary à tout prix ne fait que reprendre cette tradition : un schéma ultra-banal de « comédie de remariage » saboté par des gags scabreux.

En 1965, on ne pouvait pas encore aller aussi loin alors on se contente de parler plus librement du sexe (autre preuve que ce film est le précurseur de toute une tendance de l’humour contemporain : son titre original. Sex and the single girl, ça ne vous rappelle rien ?) et les personnages sont beaucoup plus cyniques.

Ils sont d’une époque où le capitalisme et sa vulgarité intrinsèque sont contestés et moqués. Ici, Quine égratigne une presse à scandales qui a abdiqué toute éthique pour se consacrer au plus racoleur, au plus vulgaire, au plus vil et ramasser un maximum d’argent. Il faut voir la première scène où le boss félicite son personnel d’avoir réussi à faire de Stop (le nom de la revue) un ignoble torchon ! Bob (interprété avec gourmandise par un Tony Curtis cauteleux à souhait) affiche avec une totale impudence son cynisme et ses mœurs débraillés. Richard Quine montre un monde où ne compte désormais plus que le sexe en tant que valeur marchande et où règne le « toujours plus » (bas, vulgaire…).

 

 

Cette nouvelle donne se traduit également dans des mises en scène beaucoup plus « agressives ». Puisqu’il faut continuer à « faire du chiffre », il faut se démarquer de la télévision (en noir et blanc) et jouer également la carte du « toujours plus ». Cela se traduit souvent par des Technicolors rutilants et des couleurs pétantes (voir les robes jaune citron ou mauve de Lauren Bacall). Poussée au plus au point, cette nouvelle « vulgarité » (ne pas prendre ici le terme au sens péjoratif mais plutôt dans celui d’une nouvelle esthétique « pop »ulaire) donnera les films totalement cartoonesques de Frank Tashlin avec Jane Mansfield (la géniale blonde qu’on peut voir comme une version « toujours plus » de Marilyn Monroe). Quine est un cinéaste un brin plus commun et son film est moins original et moins délirant mais il est honnête et à cette (petite) réserve près (après tout, les Farrelly que j’aime bien ne sont pas non plus de très grands metteurs en scène et c’est plutôt leur ton, plus que leur style assez anonyme, qui nous réjouit), le film est un délice.

 Ce mélange de classicisme (dans la narration) et de modernité (aussi bien dans le travail sur le cadre et sur les couleurs que sur les thèmes abordés : virginité, impuissance…) est mené tambour battant par une mise en scène vive et enlevée. L’humour est moins sophistiqué que chez Blake Edwards mais certains gags sont remarquablement bien amenés. On repère également un trait assez caractéristique de la comédie « pop » : le gag référentiel. La comédie n’est plus dans sa période « d’innocence » (je me rends compte à l’instant que j’aurais pu construire cette note entièrement autour de l’idée de perte de la virginité qui est le thème du film et la métaphore plus globale d’une certaine idée de la comédie) et l’on peut se retourner sur son âge d’or. Ici, l’on ne cesse de dire à Tony Curtis qu’il ressemble à… Jack Lemmon dans le film où il est travesti ! (c’est bien entendu Certains l’aiment chaud et le gag vient du fait que Curtis était le partenaire de Lemmon dans l’œuvre de Wilder).

Rythme, humour ; une vierge sur canapé bénéficie en sus d’un casting de rêve. Outre Curtis, il faudrait une âme de poète pour chanter des stances méritées à la sublime Natalie Wood (qui est, dans ce film, d’une drôlerie et d’une sensualité incroyable). Et puis citer l’excellent couple que forment un Henry Fonda (en représentant de bas, le plus beau métier du monde !) et une Lauren Bacall (acariâtre et jalouse) qui ne cessent de se crêper le chignon. Ils sont exquis tous les deux !

 

 

Même si le champagne n’a peut-être plus la légèreté et la grâce de la période classique (l’hymen a été consommé, rien ne sera plus comme avant…), il reste d’une grande fraîcheur et son piquant parvient encore à nous enivrer…

 

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