Couple en procès
Madame porte la culotte (1949) de George Cukor avec Katharine Hepburn, Spencer Tracy, Judy Holliday
Remontons un peu le temps de notre exploration de la comédie américaine pour nous arrêter, le temps d’une pause revigorante, du côté de ce grand classique de George Cukor ; délicieuse comédie de « remariage » où le mythique couple Tracy/ Hepburn se crêpe le chignon avant de finir par se réconcilier amoureusement.
Pour ce film, Cukor part d’une idée assez savoureuse : déporter la scène de ménage conjugale domestique sur une « scène », en l’occurrence, un tribunal où une jeune femme est jugée pour avoir tiré sur son mari volage et violent. Alors que « Pinky » (Spencer Tracy) se voit confier le rôle du juge impartial bien décidé à faire respecter la loi (si les femmes se mettent à tirer sur leurs maris infidèles, où va-t-on ?), « Pinkie » (K.Hepburn) choisit de défendre l’accusée et, par extension, la cause féminine dans sa globalité (pour qu’hommes et femmes soient égaux devant la loi).
Pardon pour le lieu commun, mais avec Madame porte la culotte Cukor prouve une nouvelle fois qu’il est le cinéaste de la femme. Tout au long de sa carrière il n’a cessé de filmer le parcours de femmes ayant, la plupart du temps, un « double visage » : souillon puis princesse (My fair lady), petite comédienne anonyme puis star (Une étoile est née), fille et garçon (Sylvia Scarlett)…Chez le cinéaste, ces figures féminines s’épanouissent généralement dans le cadre du spectacle, d’une mise en scène où l’homme modèle sa créature avant de se faire dépasser par elle (le thème de Pygmalion). Ici, la femme tente de prendre en main son propre destin mais elle le fait une nouvelle fois par le biais du « jeu ».
Au début du film, au cours d’une soirée mondaine, tous les convives sont invités à regarder un petit film en super 8 où notre couple occupe déjà la vedette. Magistrats tous deux, ils vivent sans arrêt sous les regards des autres. Avec cette histoire de procès, ils vont pouvoir se mettre en scène et rejouer leurs disputes conjugales côté « scène » (le tribunal étant le lieu théâtral par excellence !), Pinky incarnant une certaine tradition de l’ordre masculin tandis que Pinkie s’insurge et remet en cause le pouvoir phallocratique. Le film est très amusant principalement pour cette raison : tout ce qui devrait relever du conflit domestique est transféré (de manière oblique) du côté d’une tribune publique. Notre couple commence par se faire des mamours sous la table (Spencer sourit tandis que Katharine soulève coquinement le pan de sa jupe) avant d’exploser dans d’homériques colères où les répliques vachardes fusent à cent à l’heure, dans la grande tradition de la « screwball comedy ».
Au final, c’est bien entendu la femme qui finit par triompher et qui fait reconnaître par là son désir d’émancipation et de reconnaissance comme individu à part entière afin de bénéficier des mêmes droits que les hommes.
Mais Cukor est plus rusé et ne se contente pas de filmer un « vainqueur » et un « vaincu » (heureusement que les artistes n’ont pas l’esprit aussi basique que les sportifs !). De la même manière que Women était un film plein de tendresse pour la gent féminine sous ses allures misogynes (le fabuleux générique de début où toutes les actrices sont associées à des animaux) ; Madame porte la culotte se permet quelques piques ironiques contre les suffragettes derrière sa façade de film féministe.
En effet, Pinky n’a pas le profil-type du macho méditerranéen : il est tendre, attentionné et aide même aux tâches domestiques. Cela relativise les discours exaltés de son épouse qui voit dans sa protégée une image de la femme en général. Sur la fin, notre malicieux bonhomme trouve un moyen de piéger sa moitié (je ne vous révèle pas le moyen qu’il emploie) et prouve que les hommes sont également capables d’être de bons « acteurs », d’emporter le morceau lorsqu’il s’agit de ferrailler sur cette grande scène de théâtre qu’est la vie. Cukor ne cherche à ridiculiser ni l’un, ni l’autre mais à montrer que l’idée de « guerre des sexes » est trop manichéenne pour opérer. Lui qui toujours aima l’ambivalence, il dévoile les côtés masculins et féminins de son couple-vedette.
Et ça fonctionne parfaitement. Les esprits grincheux objecteront que la mise en scène de Cukor est parfois un brin statique (je pense que le film a une origine théâtrale, d’ou certains plans fixes très longs qui se concentrent sur le dialogue). Le rythme vient ici moins du montage que de ce qui se passe dans le plan : perfection du jeu des comédiens qui se donnent la réplique, travail sur l’espace qui permet au cinéaste de transformer chaque lieu en scène théâtrale (avec jeu savoureux sur les entrées de champ et les portes qui claquent…), vitalité du dialogue.
C’est du tout-bon (Jacques !) qu’on boit comme du petit-lait …